Majesté

Accouché de lui-même, Monseigneur le Dauphin (alias Emmanuel Macron) n’attend pas que le roi lui offre le spectacle du Grand Carrousel en l’honneur de sa naissance, comme jadis, en juin 1662, pour son lointain prédécesseur. Sorti de l’ombre à pas lents et solennels, il se l’offre à lui-même dans l’éclat sonore du Louvre illuminé. Dès dimanche, quatorzième de mai de l’an de grâce 2017, il sera roi adoubé par la république bousculée dans ses profondeurs.

Non, il n’est pas comme on croit un nouveau Bonaparte, ou un nouveau de Gaulle, accouru au secours de la République en perdition. Il est Louis XIV en personne, qui a fort affaire avec de nouvelles frondes, la sédition latente des sournois  attachés à sauver privilèges et passe-droits, ou des braves gens incités à la haine ou à la subversion par des agitateurs patentés. Il y a aussi des poseurs de bombes en puissance de massacres. Il trouvera toujours devant lui de nouveaux surintendants richissimes qu’il faudra réduire, des prévaricateurs auxquels il faudra faire « rendre gorge » comme jadis au fastueux Fouquet et « tous ces gens-là ». Il faut restaurer l’Etat, on cherche, on attend un nouveau Colbert, un Louvois. A-t-on besoin d’un nouveau premier ministre? Il ne faudrait pas que le nouveau monarque se persuade de la nécessité de proclamer « l’Etat c’est moi »? On le dit entouré de sages conseils.

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Pax Gallica

De jour en jour un caractère s’affirme, une volonté s’affermit, un discours s’éclaire, une explication cohérente s’installe. Il faut prendre la peine d’écouter, mot à mot, pas à pas, pour espérer et désormais croire. Qui a écrit: « La meilleure manière de se venger n’est pas de se rendre semblable à ceux qui t’ont fait mal »? Une telle règle de conduite est celle d’un homme en parfait équilibre, capable de rendre ses coups sans abîmer l’autre, sans l’accabler sous le grief d’une offensive pétrie de mauvaise foi, mensongère, outrancière. Maîtrise de soi, volonté positive. Le maître mot et le mérite remontent en l’occurence au stoïcien Marc Aurèle, l’empereur philosophe de la Pax Romana, fils spirituel d’Epictète et de Sénèque, père de Montaigne et de Kant. En opposant semblable équanimité au tohu-bohu du mal tonitruant, de la vindicte incessante, de la délation sans preuves, le candidat Macron manifeste une maîtrise du sujet et de soi-même qui impose le respect et instaure la confiance. Puisse renaître sous un tel homme une Pax Gallica aux vraies couleurs de la France!

Vite, au félon, une longue cuiller!

Comme l’âne de la fable entre l’avoine et l’eau, le sot se tenait à distance et demandait au ciel de le départager. Allait-il donner son âme au diable ou s’en tenir à son petit fricot? Il appelait au secours les idoles de son panthéon, mais ses saints et ses anges sous oriflamme ne lui répondaient pas. Alors il s’en inventa une par dédoublement de vue. Ainsi de Gaulle, un faux de Gaulle phantasmé lui figure un fanal dans la nuit, sommé d’abolir l’impossible synthèse et de sanctifier le diable dans l’eau lustrale d’un nouveau bénitier. Ce matin, il épouse la reine maudite qui le nomme aussitôt son premier chapelain. Ensemble, ils vont se partager un nouveau pain dont elle se réserve la croûte et lui concède le croûton. Le pain du pont-aux-ânes. Dupont-Aignan pour ne pas le nommer. A-t-il seulement une longue cuiller en accédant au banquet funèbre? Ses propres ouailles s’égaillent sans même songer à la lui procurer.

Nouvelle « lettre persane » (en Macronie)

Cher Usbek,

En entrant en campagne à l’invitation d’une ami instruit et bon camarade, je m’attendais au pittoresque et je n’ai pas été déçu. Des visiteurs accourent en foule vers d’étranges cabanes qu’ils appellent isoloirs. Là, abrités sous des voiles dont nombre d’entre eux désapprouvent le port sur leurs femmes, ils manipulent clandestinement des feuillets, en choisissent un seul, jettent les autres sur le sol où ils s’entassent. D’un air solennel ils le déposent dans une urne, fruit de leur  libre et pur arbitre, puis s’en retournent à leurs occupations, fiers d’une sorte de sacerdoce dont ils se revêtent une fois tous les cinq ans.

Ces prêtres d’un jour ont leurs guides consacrés, qui les inspirent par des placards pendus aux murs près de l’entrée. L’ami m’explique la manière dont ces prophètes conduisent leurs ouailles à la vénération du pittoresque, cette vertu suprême, me dit-il, qui détermine leurs choix. Il faut que leurs candidats soient marqués au coin de la plus authentique curiosité.

Untel est un berger majestueux, louvetier en quête de ses brebis égarées: un balcon de brume sur la Rhune.

Le deuxième est ouvrier, fenêtre ouverte sur un métal en feu, le troisième une enseignante économiste, argent maudit mon beau souci! L’un et l’autre clament la vertu des mirages de jadis, tant de fois entrevus, tant de fois évanouis.

Deux autres ont des manies de vieux grognards, surgeons  des bureaux de la république saisis par la vanité d’avoir toujours raison, seuls contre tous. Ils sentent la naphtaline.

A quoi ressemble le sixième? C’est un quinquagénaire ingénu fort de la fidélité de ses villageois, convaincu que son village est le centre de l’univers autour duquel le reste du monde doit tourner et dont il serait maire à perpétuité.

Ce que promet le septième est, à l’instar du huitième, la chance pour tous d’être rasés gratis, qu’on soit ou non pourvu de poil luisant et foisonnant. L’un d’eux est tellement plus verbeux que l’autre sous le rapport de la billevesée qu’il met ses chances à cent lieues au-dessus de celui-ci, qui n’en peut mais: la Méditerranée lui est centre et creuset de bonheur éternel.

On affirme que le neuvième est bouillonnant sous son air triste et sombre. Ce qui bouillonne en lui, hélas sans bonhommie, cacherait une soif de pureté étincelante à la façon d’un costume qu’il aimerait élargir aux dimensions de son pays, mais dont l’ingrate destinée lui fait reproche comme signe d’une aisance qu’on ne saurait montrer au peuple sans l’irriter.

J’en viens aux deux derniers des onze (Judas, qui aurait dû être leur douzième, au dernier moment est allé se pendre à l’enseigne du chat perché, d’où il s’arrange à brouiller les cartes). Presque au summum du pittoresque j’ai aperçu une femme forte en bras et en jambes tendus aux quatre ciels, telle un Saint-André offert au sacrifice; elle est l’X de cette campagne dont chacun se demande s’il ne va pas l’emporter. Mais elle pourrait bien tomber, de cette croix vaticinante, sous le croc en jambes de l’empereur même du pittoresque: un personnage ambigu, vêtu de doux velours comme une pipistrelle, voletant de jour comme de nuit (je suis oiseau, voyez mes ailes; je suis souris vivent les Rats); il a pour règle de n’en avoir pas de fixe, il donne à hue et donne à dia: « Le sage dit selon les gens, vive le Roi, vive la Ligue ». La Fontaine a toujours raison. Un croc en jambes de la chauve-souris fera catapulter l’X dans le royaume des morts, c’est ce qu’augurent les pythonisses sondagières. Mais il en est des sondages, comme chez nous des prédictions de notre Zoroastre, saint soit son nom: la comète va et vient comme elle veut au dessus des nuées. Votre Riga…

 

« Injustice impossible »

Dans le bourbier pesant qui a empesté la campagne, chacun a pu mesurer, de soupçons hasardeux en jugements téméraires, la perméabilité funeste des pouvoirs établis, entre médias avides de révélations, procureurs expéditifs, juges empressés à sévir et autorité suprême, tout uniment tendus à blâmer et noircir. Avide de « probité candide », le peuple s’est perdu dans les méandres délicieux de la délation et ne trouve plus son chemin vers la justice indépendante et gardienne du bien commun. La République est en danger, faute d’être assurée d’une justice absolument indépendante. Il faudra vite en trouver la recette, que ne procure pas l’organisation en vigueur.

« Injustice impossible un seul être est au monde/ L’amour choisit l’amour sans changer de visage ». Un poème de Paul Eluard ouvre la voie. Pour que « les corbeaux du sang » cessent de « rouer l’avenir de baisers », commençons par nous souvenir que notre être n’est qu’un, l’amour s’y donne d’égal à égal. Nul ne saurait juger qu’en se jugeant soi-même. La République demande un vrai roi sous un vrai chêne, non pas à l’écart du maître, mais à distance de ses pompes, de ses lumières, de ses récompenses, et qui rende compte directement au peuple de ses propres mérites. Noble projet, urgente et lourde tâche pour le prochain président.

Résistible ascension

Printemps 1953, Faculté de droit de Paris. La Corpo de Droit sous la coupe d’un chef de clan, Jean-Marie Le Pen pour ne pas le nommer: défense absolue de contester le privilège d’un syndicalisme étudiant autoproclamé.

Deux étourdis, G.L et J.L.D, s’avisent de la convocation officielle des étudiants à l’élection des « délégués Capitant », embryon gaullien, à l’époque, d’une représentation estudiantine aux Conseils d’Université. Le scrutin est de liste, à un tour. Le quorum est d’un dixième des étudiants inscrits. Les audacieux ont le culot de poser leur candidature, avec trois ou quatre camarades. Colère du chef de clan! « Votre candidature est un affront à la liberté syndicale. Vous  allez perdre. D’abord, comptez sur moi pour la boycotter par une consigne d’abstention, et je la ferai respecter. Ensuite vous allez vous heurter à une coalition de toutes les gauches de cette maison: communistes, socialistes, PSU, M.R.P, etc. Vous n’avez aucune chance. »

Nous n’atteindrons pas le quorum. Mais le résultat donne 70% des votes en notre faveur contre 30% à nos opposants. Le chef de clan déconfit n’a plus qu’à nous offrir à boire pour se dédommager de sa déconvenue.

Premier défi dans l’histoire du potentat Le Pen. Sa première défaite. Il n’est de servitude, enseignait La Boétie, que pour qui n’a pas osé résister…

 

Les gens et le Peuple (Mélenchon vs Le Pen)

Il parle « aux gens », les gens l’écoutent. Il leur demande de faire silence, et ils se taisent, instantanément.

Parler aux gens n’est pas parler au peuple. Un peuple n’écoute pas, à la rigueur il pense, mais la pensée s’efface, rentré chez soi. Les gens, c’est toi, mon partenaire direct, charnel, immédiat. Et quand je t’interpelle, toi,  » les gens » , du captes le souffle qui m’emporte vers toi sans le truchement de la pensée abstraite. Un peuple se fige dans la pensée qui le conçoit, mais s’il se meut, ce sont les gens, amis directs suspendus à la parole comme à la parabole, verbe vivant incrusté dans la chair.

Qui sait parler aux gens peut se passer du Peuple, boursouflure de pensées empesées, éolienne fatiguée de penseurs à bout de souffle, moulin à vent.

La cote d’amour

Vous pouvez bien au cirque faire tous vos tours; déployer vos blonds sourires sur vos faces épanouies, bondir sur les tribunes d’un élan calculé, tendre les bras au ciel, chanter victoires, crier malheurs; arborer sourcils noirs et broussailleux, sourires narquois, cravates soyeuses, annoncer la certitude de triompher de votre adversité; vanter votre jeunesse, naïvement attachée à choisir sans choisir, pronostiquer l’utopie, heureuse comme votre dent du bonheur, d’une ère nouvelle sur la terre aplatie ou gelée entre deux  pôles; singer en sautillant, alouette aux trois-quarts déplumée, la promesse d’une vie future de loisir paisible et délirant; vitupérer mezzo voce  la sempiternelle vocifération du faible contre le fort: A l’heure du jugement, ce ne sont pas vos contorsions qui feront la balance.

A tout concours il faut une fin, heureuse ou malheureuse. Les projets, les programmes, les discours, les écrits pensés et ciselés soit pour plaire, soit pour convaincre, au final ne pèsent d’aucun poids. Seule compte la cote d’amour, ce mystère insondable, irrationnel, qui attribue à l’un à l’ exclusion de tout autre, par sentiment, par intuition, ou par hasard, la palme présumée du bon savoir, de la juste mesure, de la sagacité.

Et nous, observateurs, agglutinés anxieux au tableau d’affichage, ne comprendrons pas pourquoi tel aura triomphé au détriment de tel autre..

Le discours de Toulon

Un visage, une vision, une stature. Ce 31 mars 2017, un homme d’Etat se révèle sur l’écran. Son discours porte sur la Défense. L’Europe et la France, la France et l’Europe, la France dans le monde en sont le vrai sujet; la volonté, l’énergie, le courage, le vrai ressort; l’avenir du monde habité en présence d’ennemis extérieurs et intérieurs implacables, le vrai défi, tel que la confrontation des peuples vindicatifs, toutes nations confondues, le soumet au pays.

Il fallait qu’un fil fût tendu au-dessus des bas-fonds de la médisance, de la calomnie, de la bassesse, de l’ineptie des concepts et des propositions éculées, de la démocratie croulante entre sarcasmes et invectives de gnomes.

Il fallait qu’un homme eût le courage de s’en saisir résolument, sans peur et sans reproche. Ne dirait-on pas que cet homme-là, parole ferme et hauteur de vue, soit né ce soir?

Un bluff sans calomnie

Mais non, voyons,  Monsieur le candidat au pouvoir suprême, vous bluffez! Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de cabinet noir dans la galaxie Hollande! Voyez ce qu’en écrivent  Ricasens, Hassoux et Labbé dans « Place Beauvau, les secrets inavouables d’un quinquennat« ,  éd. Robert Lafont, chapitre I. Dans la République pure et sans taches, il y a que des « blancs », ces notes blanches anonymes, sans en-têtes, qui circulent sous le manteau (« chut, je ne vous ai rien dit, vous ne le répéterez pas!… ») , ces renseignements occultes qui courent d’un service de police à un service judiciaire et réciproquement et qui, de proche en proche, renseignent sur le comportement des citoyens qu’on surveille pour remonter, quand celui-ci en a besoin, jusqu’au sommet de l’Etat. Mais ce n’est pas nouveau! Le système s’est répandu, dans la plus pure tradition de Fouché l’inexpugnable, repris de régime en régime par les républiques troisième et quatrième, continué sous la cinquième et il a suffi au dernier président d’embrayer sur la voie, et d’embaucher les serviteurs dévoués de ses prédécesseurs, pour perpétuer l’existence, tout en la niant la main sur le cœur, d’un cabinet noir au service de ses hautes oeuvres.

De là à établir qu’un circuit clandestin d’information a été spécifiquement dédié à vous compromettre, Monsieur le candidat, vous le prouveriez en vain, non plus, assurent les auteurs, qu’on ne pourrait jurer du contraire. Donc, vous bluffez, mais vous ne calomniez pas. D’un bluff sans calomnie, il reste forcément quelque chose.