« Non, il n’était pas facile pour les Russes de vivre en France d’une guerre à l’autre, puis dans les affres de la deuxième, encore moins que pour les exilés ordinaires dont l’arrivée et l’installation suscitent de vague en vague l’irritation des Français. C’est que les nationaux d’aujourd’hui sont les immigrés d’hier et d’avant-hier qui, une fois installés, se clôturent en prés carrés incrustés dans le grand pré carré national. Ils se dressent volontiers contre les nouveaux arrivants, redoutant leur poussée aux frontières, leur zèle, leurs mérites, leur ardeur concurrentielle. A la longue, presque tout le monde finit par se caser, qui veut bien dire s’établir dans sa case, et s’y blottir à l’abri des remous de la xénophobie ordinaire. Celle-ci s’appelle racisme quand elle s’en prend aux étrangers, non pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils sont. On voit trop bien ce qu’il en est advenu, abominablement, à l’égard du peuple juif. Les Russes de France n’étaient pas voués à pareille malédiction, mais plus d’un s’est vu persécuté ».
(Extrait de « La Cible », roman, Jean-Louis Delvolvé, L’Harmattan éd., Paris, 2011)