Pour un véritable Garde des Sceaux, ministre de la justice

J’ai rêvé naguère d’un véritable Garde des Sceaux, (Le Monde, 22 janvier 1997). L’époque était marquée par de mauvaises rumeurs qui mettaient en doute l’indépendance des juges et des procureurs. Ce n’était pas nouveau et ce doute ne s’est jamais éteint. Il s’est même aggravé ces derniers temps. L’idée, un rêve à coup sûr, consistait à ancrer cette indépendance au cœur, à la racine du système, en la personne même du ministre.

Celui-ci serait, donc, élu par les deux chambres, sur proposition du président de la République, pour un mandat de neuf ans, non renouvelable. Il serait directement responsable devant le Parlement qui pourrait le révoquer par un vote de défiance unanime de l’Assemblée Nationale et du Sénat. La fin des mandats propres du président de la République ou du gouvernement, quelle qu’en soit la cause, ne l’empêcherait pas de rester en fonction. Il siègerait au conseil des ministres, participant avec ses collègues à la conduite des affaires générales du gouvernement. Mais, tel le Chancelier dans l’ancienne monarchie, il serait tenu à distance des fastes de la République et de ses récompenses.

Il présiderait le Conseil supérieur de la magistrature, y nommerait les juges du siège et pourvoirait à leurs carrières sous la double garantie de leur indépendance et inamovibilité. Il nommerait et révoquerait les magistrats du parquet sur proposition du président de la République et serait garant du statut particulier de leur indépendance en matière judiciaire.

Il serait ainsi en flèche et en retrait pour la conduite de la Justice et la défense du corps de la magistrature, armé pour défendre son ministère et le protéger des pressions du pouvoir et de l’opinion. Il participerait pleinement à l’oeuvre régalienne en étant comptable de son action spécifique devant le peuple souverain au nom duquel la justice est rendue.

Un projet de réforme constitutionnelle est en vue. Le sujet en est tout autre (restaurer la confiance dans la vie démocratique). L’actuel Garde des Sceaux se grandirait s’il saisissait l’occasion pour l’étendre à celui, de beaucoup plus essentiel et non moins urgent, de l’indépendance de la justice. Le projet qui précède pourrait lui en fournir la trame.

Publicité

Amitié et foi jurée

Est-il juste de blâmer un ami, jusqu’à le traîner au pilori médiatique, sous prétexte que l’homme auquel il a donné sa foi aurait peut-être commis une action condamnable et pourrait tomber sous le coup de la loi? « Quoi… si ton ami se montre indigne? Vas-tu l’aimer jusqu’à la prison, jusqu’au bagne, jusqu’à l’échafaud? » L’amitié, cette « heureuse et libre promesse à soi change une sympathie naturelle en une concorde inaltérable, d’avance au-dessus des passions, des intérêts, des rivalités et des hasards » (Alain, Propos, août 1932). N’est donc pas amitié celle qui cède à la remontrance de l’objecteur patenté.

Or donc, un homme de fidélité, chef d’Etat en l’occurrence, résiste à l’objurgation, reste loyal à l’objecté, affiche sa solidarité, serait-ce au risque de se voir lui-même submergé dans la marée montante d’un discrédit redouté. Cette résistance mérite respect. Loin d’être critiquable, elle témoigne au contraire de la solidité morale d’un homme d’honneur et de bien. Cet homme devrait savoir montrer constance et mesure en toute circonstance exposée aux passions. Il est bien digne de confiance.

Présomption d’innocence

On apprend que le Garde des Sceaux est « mis en examen ». Le délit dont on l’accuse est de diffamation. La faute est-elle moins grave, qui souille ou déchire une conscience, que celle du vol ou du détournement, qui dépouille d’un bien et enrichit indûment? Quoi qu’il en soit de la morale et de l’échelle des peines, nul ne s’émeut. Le Garde des Sceaux est présumé innocent. L’affaire n’est pas au rôle, le tribunal ne la jugera que dans deux ans. En attendant, le Garde des Sceaux reste libre de diriger le noble département de la Justice et n’aura de cesse de propager dans le monde le beau nom de la Vertu qu’il prodigue à satiété autour de lui.

Le saint principe de la présomption d’innocence bat enfin son plein. Nul n’aura plus besoin, imprudent imbécile, de proclamer l’horreur de soi en liant son sort à l’échéance incertaine d’une mise en examen pour un forfait que l’opinion, à tort ou à raison, lui impute et qu’il faudrait bien deux ans pour qu’elle vienne au rôle.

Heureuse République si elle est enfin débarrassée de la vindicte attachée à tuer médiatiquement l’examiné, honni pour ce qu’il est, non pour ce qu’il a peut-être fait et peut-être pas.

Hommage soit rendu à l’innocent Bayrou!

« Injustice impossible »

Dans le bourbier pesant qui a empesté la campagne, chacun a pu mesurer, de soupçons hasardeux en jugements téméraires, la perméabilité funeste des pouvoirs établis, entre médias avides de révélations, procureurs expéditifs, juges empressés à sévir et autorité suprême, tout uniment tendus à blâmer et noircir. Avide de « probité candide », le peuple s’est perdu dans les méandres délicieux de la délation et ne trouve plus son chemin vers la justice indépendante et gardienne du bien commun. La République est en danger, faute d’être assurée d’une justice absolument indépendante. Il faudra vite en trouver la recette, que ne procure pas l’organisation en vigueur.

« Injustice impossible un seul être est au monde/ L’amour choisit l’amour sans changer de visage ». Un poème de Paul Eluard ouvre la voie. Pour que « les corbeaux du sang » cessent de « rouer l’avenir de baisers », commençons par nous souvenir que notre être n’est qu’un, l’amour s’y donne d’égal à égal. Nul ne saurait juger qu’en se jugeant soi-même. La République demande un vrai roi sous un vrai chêne, non pas à l’écart du maître, mais à distance de ses pompes, de ses lumières, de ses récompenses, et qui rende compte directement au peuple de ses propres mérites. Noble projet, urgente et lourde tâche pour le prochain président.

Un bluff sans calomnie

Mais non, voyons,  Monsieur le candidat au pouvoir suprême, vous bluffez! Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de cabinet noir dans la galaxie Hollande! Voyez ce qu’en écrivent  Ricasens, Hassoux et Labbé dans « Place Beauvau, les secrets inavouables d’un quinquennat« ,  éd. Robert Lafont, chapitre I. Dans la République pure et sans taches, il y a que des « blancs », ces notes blanches anonymes, sans en-têtes, qui circulent sous le manteau (« chut, je ne vous ai rien dit, vous ne le répéterez pas!… ») , ces renseignements occultes qui courent d’un service de police à un service judiciaire et réciproquement et qui, de proche en proche, renseignent sur le comportement des citoyens qu’on surveille pour remonter, quand celui-ci en a besoin, jusqu’au sommet de l’Etat. Mais ce n’est pas nouveau! Le système s’est répandu, dans la plus pure tradition de Fouché l’inexpugnable, repris de régime en régime par les républiques troisième et quatrième, continué sous la cinquième et il a suffi au dernier président d’embrayer sur la voie, et d’embaucher les serviteurs dévoués de ses prédécesseurs, pour perpétuer l’existence, tout en la niant la main sur le cœur, d’un cabinet noir au service de ses hautes oeuvres.

De là à établir qu’un circuit clandestin d’information a été spécifiquement dédié à vous compromettre, Monsieur le candidat, vous le prouveriez en vain, non plus, assurent les auteurs, qu’on ne pourrait jurer du contraire. Donc, vous bluffez, mais vous ne calomniez pas. D’un bluff sans calomnie, il reste forcément quelque chose.

Plaisante justice…

« Plaisante justice qu’une rivière borne, s’écriait Pascal. Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà! »

Plaisante justice qu’aucune rivière ne borne, oserait-on dire aujourd’hui! Peut-on observer sans effroi l’intrusion d’un procureur dans l’enceinte d’une Assemblée souveraine, un juge s’immiscer dans le déroulement de l’élection au pouvoir suprême? Nantis par l’Etat en ses conseils d’une autorité qui prétend n’avoir de  compte à rendre qu’à soi-même, voici qu’un procureur, des juges d’instruction s’arrogent un pouvoir autonome à l’égal de ceux, exécutif et législatif, auxquels seuls la Constitution l’a souverainement conféré.

On cherchait furieusement à la fin du dernier siècle la recette fameuse qui mettrait la justice, juges et procureurs solidaires, à l’abri des pressions du pouvoir (v. Jean-Louis Delvolvé, « Pour un véritable ministre de la justice », Le Monde, 22 janvier 1997). Non seulement on ne l’a pas trouvée, mais encore la question bascule désormais dans l’autre sens: comment faire en sorte que l’autorité judiciaire ne déborde pas de l’autorité que la Constitution lui a concédée?

Hermine, rouge et bleu, lettres persanes.

_Comment expliquez-vous, cher Uzbek, ces taches rouge et bleu sur l’hermine de ces hauts magistrats? J’aurais juré, entrant dans leur Grand Chambre, que leurs somptueuses hermines seraient du blanc immaculé de la justice immanente. S’agirait-il du symbole, veines et artères, de la rude circulation du sang dans le cerveau des sages attachés à la vertu?

_Vous n’y êtes pas du tout, cher Rica! Ce ne sont que les rubans des croix de leurs récompenses, bleu pour le mérite, rouge pour l’honneur. Car il y a gloire, vous le savez bien, à rendre la justice dans ce beau pays. Que de mérite et que d’honneur dans le haut exercice de leur indépendance!

_De cela, je ne doute pas, cher Uzbek. Dans notre vénérable Perse, -que Mazda la protège!- nous ne sentons pas cela assez bien. Mais qui leur confère ces ordres?

_Des Grands Chanceliers en ont la charge.

_Mais comment ceux-ci sont-ils informés que tels et tels sont dignes de récompense?

_C’est le Garde des Sceaux,- respectables majuscules-, ministre de la République, qui les leur signale. Deux fois par an, aux ides et aux calendes, il en dresse une liste et les leur envoie. Et la Gazette publie la liste des heureux élus. Jusqu’alors proposés récipiendaires, ils deviennent chevaliers, puis davantage.

_Quel admirable pays! Indépendance de mérite et d’honneur gratifiée par des récompenses! Il faut vite, cher Uzbek, en instruire le Sérail. Comment nos chers mollahs n’y ont-ils jamais songé? Indépendance, avez-vous dit?

_Indépendance, puisqu’on vous le dit!

Le glas de l’esplanade de Chaillot

 

Les blanboudifs ont sonné la charge

Les encornets leur ont emboîté le pas

Inspiré par l’image d’un général

Non pas mis en examen mais contumax condamné à mort

Arcbouté à son roc, nimbé de certitude

Le chevalier à la triste figure poursuit son chemin de résistance

Très haut au-dessus des siens

La garde qui ne sait pas qu’elle va mourir

Chante sur les parvis qu’elle ne se rendra pas.

Demain dans les balances de l’Histoire

Le préfet du prétoire s’apprête les yeux bandés

A jeter le surpoids de son glaive imbécile

Vae victis, malheur aux  vaincus!

C’est une bien triste chose qu’une espérance flouée.

L’affaire Justice c/ Parlement

La souveraineté du peuple exige que l’élu soit pleinement assuré d’exercer son mandat sans entrave et en toute liberté. C’est à l’élu d’abord, en conscience, au Parlement dont il relève, ensuite, et au peuple souverain en dernière analyse qu’appartient le jugement qu’on est en droit de porter sur son comportement en tant que représentant du peuple. Nul autre ne saurait s’immiscer dans la conduite de sa fonction, lui demander compte de son dévouement à sa tâche, de son assiduité, de ses moyens d’exécution. Qu’une Assemblée ou un Sénat le dote d’un budget particulier pour l’assister dans sa tâche, seul celui-ci ou celle-là est en droit de lui en demander raison et, en dernier ressort politique, le peuple dont il est l’élu.

Sauf à miner la souveraineté du peuple et la Constitution dans leurs fondements, l’autorité judiciaire ne saurait, à peine de forfaiture, s’arroger  le droit de surveiller, de poursuivre et encore moins de punir l’élu à raison même de l’exercice de sa mission. Toute mise en examen de ce chef est inconcevable.

Tel doit être le discours du droit. Celui de la morale est d’un autre langage.

Etat de non droit

Il est déjà grave que, dans la situation d’indigence crasse où les gouvernements entretiennent le service de la justice, le peuple se demande si l’Etat se souvient que la Justice est le premier de ses devoirs. Des budgets squelettiques, des services à bout de surcharge, des méthodes de misère, sous des toitures et des charpentes en ruines, où est passée l’ambition primordiale d’une justice exacte et prompte au rendez-vous du justiciable dans la peine ou le besoin?

Mais quand soudain l’on découvre, au détour d’une prétendue confidence qui a valeur d’aveu, que le chef de l’Etat lui-même traite les juges avec défiance, condescendance et dédain, c’est à désespérer. Décidément, il est bien clair que l’Etat a déserté. Non, la Justice n’est plus rendue. Et ce n’est pas sans colère qu’on voit l’Etat se réclamer sans cesse,  jusqu’au comble de l’indécence, de l’état de droit. Or moins il l’assume, au dedans comme au dehors, plus il le proclame,  à l’aune de son impuissance . Maudite soit l’hypocrisie démocratique.