« Pourquoi j’écris? » demande Zabor. « Parce que je témoigne, je suis le gardien, je fais reculer la mort des miens car ils sont essentiels et dignes d’éternité. Dieu écrit, moi aussi ». Ce nouveau roman de Kamel Daoud (Actes Sud, août 2017) ouvre à l’écrivain les portes de l’extase (c’est le titre du dernier chapitre), et le lecteur se pénètre d’un enivrant elixir, le mot lui vient aux lèvres en reposant l’ouvrage. C’est le livre de la raison d’être qui, du mythe de Robinson à la leçon de Schéhérazade, trace le chemin de la liberté, corps et âme réconciliés. Quittant celui des livres sacrés qui enclosent les croyants dans la gangue du parler qui les fige, lentement, difficilement, encombré de mille obstacles qu’il lui faut déblayer, l’enfant débile paré du don qui le révèle découvre la langue, trace l’écrit, le livre, la littérature qui délivre l’être fruste de l’enlisement mortel des sables dans le désert et l’entraîne dans les délices de la transcendance assumée.
Et tel Rimbaud descendu « des Fleuves impassibles », Bateau Ivre délivré des « haleurs », l’enfant baigné d’amour, l’enfant enchanté des Psaumes, pourra s’écrier: « O que ma quille éclate! O que j’aille à la mer! ». Vite, dans « une eau d’Europe…Un bateau frêle comme un papillon de mai ».