Et ce sein que tu caches, est-ce que je ne le vois pas? Tartuffe se découvre dans l’affichage, le dévoilement, la transfiguration. Tartuffe aujourd’hui veut toute la femme, inclusive dans l’homme, et que cela se voie. D’un point entre deux signes, il prescrit de montrer dans l’écrit, au-delà du rédacteur . e, le tout de l’homme et de la femme y incluse. Ainsi le voudrait, paraît-il, la fièvre féministe. Et après? Quand j’aurai ponctué cent fois et plus l’apparition de l’incluse dans l’expression de mon verbe, en quoi aurai-je fait progresser la cause de la femme, démontré qu’elle est décidément l’égale de l’homme? N’aurai-je pas au contraire souligné un état d’infériorité qui, loin d’être laissée dans l’ombre, serait au contraire affichée par ce point? Montrez-moi donc entier, sans vain détour d’un signe superflu, ce sein que votre point révèle. Laissez-moi l’honorer à ma guise, selon ce que ma langue me dicte dans son dit naturel.
littérature
De la violence faire aux hommes
Elles se proclament libres et détachées des convenances, dénudées de la chevelure au talon, délurées et offertes indifférentes à l’indiscret regard du passant, et lui les croit offertes. Cet effet de l’attraction universelle, qu’on nomme attirance ou désir, le persuade de leur offrir le bras, davantage si possible, mais elles résistent et s’indignent et tout au fond d’elles-mêmes refusent la chance, c’est à dire le risque du fruit. Il ne sera pas dit que leur ventre soit ouvert. Alors, il n’y comprend rien, son regard se durcit. Procréatrice par instinct, sa nature se révolte, la vierge lui fait offense, il la lui faut. Ainsi s’efface le galant, le chevalier, il devient le balourd, le grossier, l’indigne, gibier de potence. L’indignation s’étend et s’enfle, médiatiquement. Méfiance, une chasse est ouverte.
Qui osera chanter désormais la romance du harcèlement religieux, la dévotion quasi mystique de l’assaillant hanté d’amour, de Solal au plus près de la perverse Ariane, Belle du Seigneur ô combien conquise et puis détruite par l’amour même, celle de François vainqueur persévérant d’Anne, l’agnelle pieuse et prude révélée par ses lettres insistantes. L’une et l’autre asservies dans la gloire, mais on sait de reste qu’il n’est de servitude que volontaire. Louange à toi, Seigneur et souverain bien, un amour est né que le souvenir n’éteint pas.
Ô triste monde médiatique, celui dans lequel les enfants ne pourraient plus jouer à Colin-Maillard innocemment!
De Zabor à Rimbaud
« Pourquoi j’écris? » demande Zabor. « Parce que je témoigne, je suis le gardien, je fais reculer la mort des miens car ils sont essentiels et dignes d’éternité. Dieu écrit, moi aussi ». Ce nouveau roman de Kamel Daoud (Actes Sud, août 2017) ouvre à l’écrivain les portes de l’extase (c’est le titre du dernier chapitre), et le lecteur se pénètre d’un enivrant elixir, le mot lui vient aux lèvres en reposant l’ouvrage. C’est le livre de la raison d’être qui, du mythe de Robinson à la leçon de Schéhérazade, trace le chemin de la liberté, corps et âme réconciliés. Quittant celui des livres sacrés qui enclosent les croyants dans la gangue du parler qui les fige, lentement, difficilement, encombré de mille obstacles qu’il lui faut déblayer, l’enfant débile paré du don qui le révèle découvre la langue, trace l’écrit, le livre, la littérature qui délivre l’être fruste de l’enlisement mortel des sables dans le désert et l’entraîne dans les délices de la transcendance assumée.
Et tel Rimbaud descendu « des Fleuves impassibles », Bateau Ivre délivré des « haleurs », l’enfant baigné d’amour, l’enfant enchanté des Psaumes, pourra s’écrier: « O que ma quille éclate! O que j’aille à la mer! ». Vite, dans « une eau d’Europe…Un bateau frêle comme un papillon de mai ».
Ornières
Le temps approche où Monsieur le Maire n’aura plus de goudron pour boucher les vilains trous de ses chemins, plus de bitume pour lisser ses trottoirs, plus de sable, plus de chaux, plus de plâtre pour rénover les murs de ses bâtiments. La taxe d’habitation abolie le livre aux hasards de la finance. A demain la corvée des villageois? Honneur au cantonnier de jadis « qui cassait et qui cassait des tas de cailloux », on se souvient de la chanson. Monsieur le Maire n’a plus d’argent. Son ministre pas davantage.
L’ornière fait sursauter. On appelle cahots les soubresauts des voitures dont les essieux se cassent et le voyageur s’y rompt le dos. On voyagera demain dans la douleur. Voyager? Mais vous n’y pensez pas! Quel besoin de voyager quand tout vous astreint à reposer dans votre chambre, la main assujettie aux doigts qui courent sur votre clavier, l’œil rivé à votre écran, l’auriculaire à l’oreillette, et le reste du monde est là, aux ordres de Monsieur, au service de Madame? La route est désertée et la poste est muette. Il n’y a plus de vie qui vaille que sur les réseaux sociaux. On n’écrira plus non plus.
Qui pourra faire que du tweet ou de l’email surgisse le chef d’oeuvre, ou même tout bonnement le clin d’œil d’un brin d’esprit ou de conversation? Rappelons-nous la Sévigné, « blonde rieuse, nullement sensuelle, fort enjouée et badine » (Sainte-Beuve). Elle voyageait peu, mais sa main, son esprit voyait tout, à courte et longue vue. De ses lettres vives et tendres a jailli un art de vivre et de le dire, un savoir-vivre, à distance des vivants mais encore tout près d’eux, et sa chère fille avant tous. Mais la distance, maintenant, elle aussi, est abolie. L’autre est désormais trop près de ma vue, de mon oreille, pour que me prenne le désir de lui parler et de l’entretenir à loisir, légèreté ou profondeur. Nous n’avons pas le temps. Si près de moi, je le perds de vue. Une ornière béante s’est ouverte dans le néant de l’espace et du vide, entre zéro et un, et je m’y romps, os et carrosse.