Une France en miettes

Ecrire l’Histoire d’un pays, d’un peuple, d’une nation, c’est vouloir le connaître  et, à la rencontre, le reconnaître.

En plus de huit cents pages à doubles colonnes, et une bonne centaine d’auteurs, brillants fouilleurs d’archives, cet in-quarto présenté par M. Patrick Boucheron prétend figurer la France, enserrée dans une Histoire Mondiale (Le Seuil, janvier 2017). On l’y aperçoit, en effet, décortiquée en mille miettes, comme si un pesant démiurge s’était emparé d’une énorme boule de pain rassis et l’avait émietté au long des chemins pour le bonheur des étourneaux.

Chaque miette que l’oiseau grégaire béquette l’instruit au gré du vent qui l’emporte mais ne le rassasie pas. Que dit de la France ce petit morceau choisi parmi les milliers d’autres que les auteurs ont égrenés, chacun selon son choix et pour le plaisir d’illustrer un extrait de sa pensée éparse au fil des événements? On cherche une unité, une cohérence, un objet à part entière, ou qui d’un bout de corniche révélerait la bonne surprise de  l’oeuvre entier. On regrette de trouver un ramassis de petits bons hommes, à coup sûr décervelés de leurs prétentions, rodomontades et vanité, rapetissés à la commune mesure du reste du genre humain. Salutaire catharsis. Mais qui est la France dans cette grosse boule de pain sans ressort, pierre qui roule sans amasser mousse?

Plus mon petit Liré que le mont Palatin… plus l’ardoise fine que le marbre romain…, en quelques vers si simples le poète n’avait-il pas suggéré l’essentiel, le fin mot autour duquel s’est tramée l’âme d’un terroir, d’un pays, d’une identité vraie, ouverte à tous, à tous les vents, à tous les désirs d’être heureux sur un coin de terre, parangon de l’Humanité. Courons vite goûter la France autour du monde qui est le sien!

Publicité

L’Octogénèse par Jean-Louis Delvolvé

Comment ne pas vieillir sans faire semblant de rester jeune ? L’amour, la mort, l’éternité, la grâce ont rendez-vous dans la plénitude du songe d’une communauté d’adultes à l’ombre d’un homme et d’une institution.

L’homme est Lucien Page, vivante incarnation du demi-dieu Tagès. Sous sa conduite, Judith, Jean et Gilda, Marie, Jean-Eudes et tous autres réalisent leur octogénèse*, discipline de conduite de leur existence en voie d’accomplissement, baume de régénération qu’il leur enseigne par la pensée et par l’exemple.

L’institution est une sorte de résidence à l’invocation de Thélème où s’assemblent et progressent dans la concertation et la jeunesse de l’esprit les hommes et les femmes qui l’ont prise pour abri.

Si « le vieillard est l’avenir de l’homme », l’arbre qu’il plante est sa résurrection.

*Octogénèse.n.f. 2014. de octo-et-genèse. philos. Méthode irénique de construction de l’individu de l’âge adulte au grand âge.

* Octogénétique. Qui se rapporte à l’octogénèse. On peut dire aussi octogénique.

 

 

 

 

Octogénèse ou le sourire de Tagès, 216 pages. 20 €

Editions Orizons. 13 rue de l’Ecole Polytechnique. 75005 Paris

Octogénèse ou le sourire de Tagès

« Ma maison tourne le dos à la mer. Je l’ai voulue ainsi. Je ne crains pas la mer, mais je déteste le vent sans mémoire, le vent fou qui hurle avant que ne l’apaisent les hautes futaies des pins maritimes au pied desquels je l’écoute à mes heures, souffle délaissé entre les branches comme celui de mon chien couché le soir contre ma jambe qu’il réchauffe ».

Ainsi commence Octogénèse, oeuvre de vie tournée vers la jeunesse des âges, sous le signe de Tagès, symbole du sourire de l’homme en transhumance vers l’infini. Six personnages en quête d’eux-mêmes, d’amour et de vérité.

*Octogénèse.n.f. 2014. de octo-et-genèse. philos. Méthode irénique de construction de l’individu de l’âge adulte au grand âge.

* Octogénétique. Qui se rapporte à l’octogénèse. On peut dire aussi octogénique.

Aux éditions Orizon, sept.2016. 13 rue de l’Ecole Polytechnique 75013 Paris

Le boeuf et la grenouille

Trop modeste, Monsieur Luc Ferry! Votre « Révolution transhumaniste » n’est pas un « petit livre », mais une introduction magistrale, au propre et au figuré, à la compréhension du mouvement implacable qui nous saisit et nous implique dans un destin que nous avons tant de mal à réaliser: cette sorte de dépassement, « d’augmentation de l’humain » que prophétisent les adeptes de l’avènement des NBIC, et dont nous mystifient les fameux GAFA lancés à la conquête de l’univers.

C’est entendu, le programme n’est plus d’améliorer l’homme en l’aidant à grandir et s’accomplir dans ce qu’il a de plus humain, mais de « l’augmenter » de telle sorte qu’affranchi des pesanteurs de l’injuste nature, il les dépasse en se transfigurant.

« Une grenouille vit un boeuf, qui lui sembla de belle taille ». D’Esope à La Fontaine, chacun a pu suivre le parcours de ce vaniteux petit animal qui « creva » d’avoir voulu s’enfler aux dimensions de plus grand que lui. Or voilà que le boeuf à son tour se met en devoir « d’augmenter ». Que croyez-vous qu’il arrivera? A force d’enfler, il implosera. La « régulation  » sage prescrite par l’auteur , n’y sera pour rien.

La Vie, encore et toujours

Voici venir « Octogénèse », le livre heureux de la Vie perpétuée dans le Grand Âge.

Sous le regard et selon le verbe du divin Tagès, réincarné dans le visage du maître Lucien Page, s’expriment, venant à bout de toutes vindictes, l’amour, la jeunesse, l’éternité, la grâce, perçus, entretenus, vécus en continu dans le dialogue intérieur et la Concertation. Ainsi passent et se dépassent l’homme et le temps jusqu’au saut vertigineux du Grand 8, « en état d’apesanteur sur des appuis de transhumance » vers la vie gaillarde renaissante à jamais.

« Octogénèse ou le sourire de Tagès », un roman de réjouissante ironie, à paraître aux éditions de l’Orizon, Paris, septembre 2016.

[Octogénèse.n.f. 2014. de octo-et-genèse. phil. Méthode irénique de construction de l’individu de l’âge adulte au grand âge.

Octogénétique. Qui se rapporte à l’octogénèse. On peut dire aussi octogénique].

Une (nouvelle) « Semaine sainte »

Quel nouvel Aragon chantera, prince des Lettres, la Semaine sainte qu’annonce le trouble incessant de la République vacillante? Pour n’être plus au temps du combat du « Tyran » et de « l’Ogre », la lutte ne s’annonce pas moins âpre entre conservateurs d’un monde qui s’évanouit et prophètes d’une société incertaine. Mars 1815-Printemps 2016, est-ce que rien ne change? Dans le remue-ménage des états-majors, on devine inquiétude, rassemblements et trahisons, renversements d’idoles, travestissement d’idées, épousailles perverses, fumets d’alliances contre nature. Ameutée autour du président régnant, la garde rapprochée se distend, se cherche un avenir sûr avec ou sans son maître. Il est temps de courir aux abris.

Allez donc, jeunes gens, vous inspirer, muets, sous une galerie du Palais Royal, du chaleureux hommage, roman dans le roman, que Géricault, peintre et cavalier de génie, égaré dans le corps des mousquetaires gris du Roi Louis XVIII,  adresse là, dans sa clairvoyance lucide et généreuse, au géant Caravage, peintre ô combien dénigré du petit peuple, écho éternel de ce monde délaissé qu’il côtoie et dans lequel Aragon s’est reconnu, ivre, lui-même abusé, d’un nouvel idéal.

Certes, l’Art ne guérit rien, mais il acquitte de tout.

Penser Luchini

« Grands yeux dans ce visage/Qui vous a placés là?/De quel vaisseau sans mât/ Etes-vous l’équipage? »

Ces quatre vers de Supervielle vous reviennent en mémoire quand vous saisissez l’humble regard de Fabrice Luchini en couverture de son livre de souvenirs (« Comédie française, comment ça a commencé »). Ce poète en action, ce ciseleur des mots restitués à leur naturel, ce pourfendeur de la médiocrité en marche est un timide qui s’éveille, comme un oiseau à peine éclos au bord du nid, à l’inclassable curiosité du monde. Une intime douceur enveloppe ce regard que la lâcheté radoteuse des fausses valeurs en cours ne décourage pas, quand il lui dit son fait, de plaider l’indulgence pour autrui comme pour lui-même, ayant l’art supérieur de pratiquer l’ironie, et ainsi d’adoucir nos plaies par l’onguent du sourire.

Il n’est auteur dont il ne serve la mémoire sans qu’il n’émane de son service un apaisement. Paix, et pitié pour les médiocres, aussi longtemps que survivra par lui la poésie, aimable ou cruelle, sévère ou familière, claironnante ou absconse, des Phares et des Géants. Aimer et cesser de gémir. Voir et revoir Luchini dans Arts, dans Alceste à bicyclette, dans Poésies?, tant d’autres encore, c’est respirer un air de bonheur autour d’un maître du fugitif, de l’ineffable, de l’instantané, guérisseur d’anxiété.

Penser Luchini dans son dire à l’instant de poser les mots sur la page blanche, c’est déjà les attraper dans la plénitude du vrai, à pleine bouche et pleine oreille simultanément. Richesse immédiate du sens: « cuistre », « lavandière », « Hortense couche-toi! ». Sitôt perçus les mots, défilent devant soi l’indigence des nuls parés de leur prétention à gouverner la terre, la blancheur savonneuse des mains rougies penchées sur la rivière, la facétie courtelinesque à l’état pur. Luchini, ou la vérité du verbe.

« Eloquence de l’écrit ».

 

Raser Palmyre, déracinements.

S’il est vrai, comme d’aucuns le prétendent, que les beaux programmes de notre Education Nationale tendent, selon l’inclination de ministres novateurs, à libérer l’enfant des empreintes de son passé culturel, afin de lui insuffler la liberté d’un nouveau savoir dans l’égalité de l’apprentissage, encore faut-il examiner ce que peut être le savoir affranchi qu’on offre à l’ignorance dans laquelle on l’aura d’abord plongé. Cette matière malléable qu’est l’enfant, délivrée des acquis du passé, quels maîtres, eux-mêmes exhortés à se départir de celui-ci, sauraient-ils l’éduquer et à quoi?

Des prédateurs d’âmes sont proches, naguère planqués dans l’ombre, désormais paradant au grand jour. Qui ne les voit multipliant, dans la chaîne de l’ignorance installée, les appels à des engagements absolus, couronnés de promesses d’infinis réconfortants, en mélopées prophétiques inspirées de révélations mystérieuses? Il n’est plus à la jeunesse qu’à adorer dans la soumission, sans hésitation ni murmure, quasi militairement. Le bonheur est là, dans l’ivresse immédiate de l’action.

Quelle pauvre chose, en face de ce prosélytisme, que cette peau de chagrin sans transcendance ni enthousiasme qu’on appelle Droits de l’Homme, Ersatz de la haute idée qu’on prétend se faire de celui-ci et qui n’émeut plus, on le sent bien, l’ensemble de la classe juvénile? Hypocrites droits de l’homme, trahis par tant de complaisance envers Etats ou Unions d’Etats qui les renient dans le temps-même où ils les proclament.

Raser Palmyre passe chez ces prédateurs pour un acte fondateur de leur enracinement dans un nouvel empire débarrassé d’un passé honni. Raser Palmyre est-il plus criminel que de vouloir couper les jeunes Français de leurs racines? Table rase du passé, passeport fatidique pour l’aventure des cœurs affaiblis. Dans son nouveau roman (2084, Paris, Gallimard, 2015), œuvre d’Orient à la sauce française, l’algérien Boualem Sansal montre avec un grand talent les voies et les moyens d’un chemin totalitaire vers le néant, ce mystérieux zéro si loin de l’infini et qui pour lui, semble-t-il, n’existe que « pour dire qu’il n’existe pas ». Le néant de l’Homme écrasé, ramené au rien d’une « religion-remède », religion qui tue son adepte et le dissout.

Goya

Voici « Goya », par Michel del Castillo (Paris, Fayard, Sept. 2015). Le voici pas à pas, œuvre après œuvre, ambitieux, inlassable ouvrier de soi-même, Saturne porté par l’événement, terrifiant illustrateur de la mort franco-espagnole. De la mort de l’Espagne. Du suicide de l’homme happé dans l’engrenage du mal et du ressentiment. A peine récompensé par des grâces d’enfants sages, d’altesses sublimes et de majas.

« Goya, cauchemar plein de choses inconnues », pour Baudelaire, un Phare. Pour Malraux, un géant, l’empereur du néant. Pour M. del Castillo, dont la démonstration est parfaite, le « chantre de l’énergie négative », le visionnaire qui a vu poindre les ténèbres dans l’éclat même des Lumières. Pour le lecteur, l’envie de courir à Castres et au Prado à la poursuite d’un artiste qui sait dire tant de choses et sur lui et sur l’autre dans l’élan vigoureux, spontané, populaire et véridique de ses brosses et burins. Comme on est loin de la délectation morose des mièvres de ce temps, des blandices du doux Warhol, des facéties sans grâce d’un Jeff Koons, des philosophies sans portée d’un Kapoor, appâts de philistins encouragés par la crainte révérencielle des ministres et l’appétit intéressé des médias!

Sur son socle, l’espiègle nue se rit de l’indiscret dans le repli de son bras porté jusqu’à ses lèvres. Accroupie, elle pèse de tout son poids de tranquille assurance. « L’Espiègle », vérité sincère d’une artiste sans apprêt (D. Duparc, sculp.).

« Orphelins de Dieu » de Marc Biancarelli

De qui s’agit-il? Qui est visé sous ce titre générique et ample du roman de Marc Biancarelli publié au mois d’août par Actes Sud?

Ils sont, dans cette horde sans foi ni loi, agressive, instinctive, animée du goût du meurtre pour le meurtre, assassins sanguinaires, la proie de leur haine invincible envers l’humanité cruelle, miroir d’eux-mêmes, et pour eux-mêmes sans pitié. Une fille de rien s’élance à la poursuite de leur engeance après que trois d’entre eux ont torturé atrocement, gratuitement, son jeune frère dans leur masure perdue dans un recoin de la montagne corse. Trop faible pour mener seule sa vengeance à bien, elle se confie à L’Infernu, l’un de ces hors-la-loi, vieillard reconverti dans le métier de tueur à gages, recru de fatigue et proche de sa fin. Ensemble, ils vont au bout de son projet. Au fil de la poursuite, il déroule à ses yeux la genèse et la séquence de ses forfaits, violence née de l’injustice et de la misère, misère entretenue dans la violence, l’une à l’autre engrenées comme par une vis sans fin. Lui-même périra.

La fille, Vénérande (ce prénom dit assez l’admiration que l’auteur lui prodigue), tueuse anéantie au bout de sa route par la honte de soi, cet apanage commun des bandits sans conscience sauf l’honneur du remords qu’ils n’avouent pas, s’efface dans le néant du temps banal qui abolit toutes choses: plus rien ne subsiste, ni d’elle, ni du jeune frère tant amoché, ni de sa masure, de son enclos, de ses bêtes. « Ici, redisons-le, il n’est nulle mémoire ». Refermons le livre, recommande l’auteur. Cette histoire, n’est-ce pas? est sans pareille. Elle s’est déroulée dans l’autre siècle. Il n’en est nulle part qui s’en rapproche aujourd’hui. L’oubli, le généreux oubli recouvre la honte de sa poussière. Insidieuse poussière sur laquelle, pourtant, chaque « orphelin de Dieu » sur terre aura le cœur de souffler pour respirer un moment.

Livre splendide, style ardent, lumineux, poétique. Indicible épopée de l’homme sans repères, notre frère. Ironique jugement sur la perte de mémoire.