Pitié pour les végétaux!

La média sphère est remplie des criailleries de la gent végétarienne. Ne voilà-t-il pas qu’une « végan » montée à bloc dénonce à voix d’orfraie « l’holocauste » de l’animal par l’homme, cet usurpateur arrogant, ce satrape totalitaire qui s’est arrogé le droit de sacrifier de la chair pour se nourrir? (C Politique, France 3, 10.9.17). La péronnelle s’attaque violemment au génocide, proclame qu’on doit cesser de manger de la viande, et ose appeler cela philosophie. Le penseur de service à l’antenne en est resté pantois.

Pourtant, ceux de son espèce semblent moins se soucier de la consommation des poissons, moins encore de celle des insectes dont l’industrie annonce l’élevage suivi de destruction massive pour la survie de l’homme, après trituration dans les marmites de la nouvelle cuisine.

Mais qui dira la désolation de la rose assassinée pour l’ornement de nos jolis bouquets, la douleur de la pomme que l’on cueille, de la laitue qu’on arrache, de céréales,blé, riz et maïs confondus, base élémentaire de notre nourriture? Le crime serait-il moindre de les consommer pour ne percevoir aucun murmure de leurs arrachements?

Ne faudra-t-il pas qu’un jour l’homme cessât de manger? Ainsi renaîtrait l’Eden des premiers jours. On ne saurait imaginer le retour des dinosaures…

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Ornières

Le temps approche où Monsieur le Maire n’aura plus de goudron pour boucher les vilains trous de ses chemins, plus de bitume pour lisser ses trottoirs, plus de sable, plus de chaux, plus de plâtre pour rénover les murs de ses bâtiments. La taxe d’habitation abolie le livre aux hasards de la finance. A demain la corvée des villageois? Honneur au cantonnier de jadis « qui cassait et qui cassait des tas de cailloux », on se souvient de la chanson. Monsieur le Maire n’a plus d’argent. Son ministre pas davantage.

L’ornière fait sursauter. On appelle cahots les soubresauts des voitures dont les essieux se cassent et le voyageur s’y rompt le dos. On voyagera demain dans la douleur. Voyager? Mais vous n’y pensez pas! Quel besoin de voyager quand tout vous astreint à reposer dans votre chambre, la main assujettie aux doigts qui courent sur votre clavier, l’œil rivé à votre écran, l’auriculaire à l’oreillette, et le reste du monde est là, aux ordres de Monsieur, au service de Madame? La route est désertée et la poste est muette. Il n’y a plus de vie qui vaille que sur les réseaux sociaux. On n’écrira plus non plus.

Qui pourra faire que du tweet ou de l’email surgisse le chef d’oeuvre, ou même tout bonnement le clin d’œil d’un brin d’esprit ou de conversation? Rappelons-nous la Sévigné, « blonde rieuse, nullement sensuelle, fort enjouée et badine » (Sainte-Beuve). Elle voyageait peu, mais sa main, son esprit voyait tout, à courte et longue vue. De ses lettres vives et tendres a jailli un art de vivre et de le dire, un savoir-vivre,  à distance des vivants mais encore tout près d’eux, et sa chère fille avant tous. Mais la distance, maintenant, elle aussi, est abolie. L’autre est désormais trop près de ma vue, de mon oreille, pour que me prenne le désir de lui parler et de l’entretenir à loisir, légèreté ou profondeur. Nous n’avons pas le temps. Si près de moi,  je le perds de vue. Une ornière béante  s’est ouverte dans le néant de l’espace et du vide, entre zéro et un, et je m’y romps, os et carrosse.

Guerre ou culture, il faut choisir

Un chef de guerre s’émeut parce que son prince lui rogne son budget. Il a raison si à ce prix la victoire est compromise. Le prince aurait pu préférer rétrécir une autre dépense. Celle de la culture, par exemple, parmi celles qui s’offraient à son choix. Que diraient alors les doctes? Il faut bien soutenir aussi leur train. On ne peut à la fois les chérir et caresser les chefs des armes. Entre les armes et la loi, la loi commande, et le destin du prince est en jeu.

La sagesse des Anciens a montré que les plus forts guerriers se gardaient parfois de poursuivre le châtiment des vaincus dans la destruction des oeuvres de leurs arts, soit en abattant leurs temples, soit en livrant leurs livres au feu. Car mieux valait les entretenir dans les grâces de l’ esprit et, ainsi amollis, conserver sur eux leur empire. Combien stupides à ce compte auront été les destructeurs de Mossoul ou Palmyre!

Stupides et non moins criminels car, à l’inverse, on ne vantera jamais assez  le protecteur des arts, par quoi les civilisations progressent vers leur plus grande perfection, et la paix véritable est au bout du chemin. Gloire au prince dont le choix conduit à l’effort conjugué des guerriers et des doctes. Puissent ses peuples solidaires en saisir la nécessité.

A la recherche de l’homme parfait

Qui cherche l’homme trouve l’humain.

A quoi bon dénoncer la faille? Elle est toute où est l’homme. De quel profit est la dénonciation sinon la gloire du dénonciateur et la prospérité suspecte de son journal? A tant harasser l’opinion, la presse lasse et le lecteur passe, indifférent, au prochain épisode. Aussi bien, il pardonne, de bon ou de mauvais cœur selon que l’honneur vrai est atteint ou seulement écorné.

Le maître a mille fois raison d’attendre et de laisser les lilliputiens stipendiés tendre leurs fils d’opprobre désiré sur les héros d’un jour. Le jour passe et demain, une faille cédant à l’autre, l’humain se reconnaîtra parmi les siens. A défaut d’homme parfait, il désignera l’honnête homme ajusté à sa mesure.

Pax Gallica

De jour en jour un caractère s’affirme, une volonté s’affermit, un discours s’éclaire, une explication cohérente s’installe. Il faut prendre la peine d’écouter, mot à mot, pas à pas, pour espérer et désormais croire. Qui a écrit: « La meilleure manière de se venger n’est pas de se rendre semblable à ceux qui t’ont fait mal »? Une telle règle de conduite est celle d’un homme en parfait équilibre, capable de rendre ses coups sans abîmer l’autre, sans l’accabler sous le grief d’une offensive pétrie de mauvaise foi, mensongère, outrancière. Maîtrise de soi, volonté positive. Le maître mot et le mérite remontent en l’occurence au stoïcien Marc Aurèle, l’empereur philosophe de la Pax Romana, fils spirituel d’Epictète et de Sénèque, père de Montaigne et de Kant. En opposant semblable équanimité au tohu-bohu du mal tonitruant, de la vindicte incessante, de la délation sans preuves, le candidat Macron manifeste une maîtrise du sujet et de soi-même qui impose le respect et instaure la confiance. Puisse renaître sous un tel homme une Pax Gallica aux vraies couleurs de la France!

Michel Onfray a tort

Michel Onfray a tort (« Décadence », Flammarion, janvier 2017). Non, il n’est pas vrai que les civilisations soient mortelles, la nôtre, dite judéo-chrétienne, en particulier. Pour être mortelles, il faudrait d’abord que l’homme le fût, et en chair et en esprit. Or, ce n’est pas établi.

Michel Onfray pose cette prémisse: « Dès qu’un enfant naît, il est déjà vieux pour mourir » Et d’embrayer allègrement sur la définition « vitaliste » de la vie, proposée par Bichat, d’après laquelle la vie serait « l’ensemble des forces qui résistent à la mort ». Il conclut: « Une civilisation vit tant qu’elle résiste à ce qui veut sa mort » (interview du Figaro, 6 janvier 2017). Ce vitalisme débilitant de la mort promise sans rémission, est une erreur.

Loin d’être donnée pour mourir, la vie est donnée pour vivre, et vivre, c’est vouloir vivre, un donné consubstantiel de l’être qui pousse le vivant, éternellement, à persévérer dans l’être, à croître, à s’élever, à s’accomplir, à procréer, planter, ensemencer, enseigner, transmettre, transformer, transfigurer, renaître, éternellement. Tel est le désir puissant de l’être, énergie, amour, attraction de et vers l’universel reconstitué, indéfiniment reconduit jusqu’à l’un originel. La mort n’existe que comme l’instantané provisoire de  » la vie en transition vers la vie…effet puissant et immédiat de l’énergie qui pousse les êtres les uns vers les autres, non pour les détruire, mais pour se nourrir et s’enrichir mutuellement de leurs dons » (Octogénèse, Partie V).

Pareillement, toute civilisation se recueille en celle qui renaît d’elle, recomposée d’âge en âge dans l’Esprit immanent de l’être toujours vivant. Dès lors, chaque civilisation est avatar de celles qui la précèdent. Nous sommes tous des Sumériens.

 

Le boeuf et la grenouille

Trop modeste, Monsieur Luc Ferry! Votre « Révolution transhumaniste » n’est pas un « petit livre », mais une introduction magistrale, au propre et au figuré, à la compréhension du mouvement implacable qui nous saisit et nous implique dans un destin que nous avons tant de mal à réaliser: cette sorte de dépassement, « d’augmentation de l’humain » que prophétisent les adeptes de l’avènement des NBIC, et dont nous mystifient les fameux GAFA lancés à la conquête de l’univers.

C’est entendu, le programme n’est plus d’améliorer l’homme en l’aidant à grandir et s’accomplir dans ce qu’il a de plus humain, mais de « l’augmenter » de telle sorte qu’affranchi des pesanteurs de l’injuste nature, il les dépasse en se transfigurant.

« Une grenouille vit un boeuf, qui lui sembla de belle taille ». D’Esope à La Fontaine, chacun a pu suivre le parcours de ce vaniteux petit animal qui « creva » d’avoir voulu s’enfler aux dimensions de plus grand que lui. Or voilà que le boeuf à son tour se met en devoir « d’augmenter ». Que croyez-vous qu’il arrivera? A force d’enfler, il implosera. La « régulation  » sage prescrite par l’auteur , n’y sera pour rien.

La Vie, encore et toujours

Voici venir « Octogénèse », le livre heureux de la Vie perpétuée dans le Grand Âge.

Sous le regard et selon le verbe du divin Tagès, réincarné dans le visage du maître Lucien Page, s’expriment, venant à bout de toutes vindictes, l’amour, la jeunesse, l’éternité, la grâce, perçus, entretenus, vécus en continu dans le dialogue intérieur et la Concertation. Ainsi passent et se dépassent l’homme et le temps jusqu’au saut vertigineux du Grand 8, « en état d’apesanteur sur des appuis de transhumance » vers la vie gaillarde renaissante à jamais.

« Octogénèse ou le sourire de Tagès », un roman de réjouissante ironie, à paraître aux éditions de l’Orizon, Paris, septembre 2016.

[Octogénèse.n.f. 2014. de octo-et-genèse. phil. Méthode irénique de construction de l’individu de l’âge adulte au grand âge.

Octogénétique. Qui se rapporte à l’octogénèse. On peut dire aussi octogénique].

Avènement de l’homme-masse

Laissons les chiens hurler avec les loups, les loups avec les chiens. Chiens de garde exténués, chiens de chasse au flair affadi, loups hurlant la haine. Et tâchons d’aller au fond des choses.

Le monde s’est compacté en murailles de croyances et d’opinons fabriquées. Elles s’amassent et se renforcent dans le courant continu de l’information que lui déverse, sans nuance ni contrôle,la masse des citoyens enfermés en des certitudes cathodiques dont la répétition lancinante leur façonne une vérité qu’ils tiennent pour acquise et légitime. Autant de masses, autant de forteresses, autant de rejets de l’autorité, de la société, des pouvoirs établis. Voici « l’homme-masse » annoncé de longue date dans l’essai prémonitoire de José Ortega y Gasset « La révolte des masses », 1929.

L’homme-masse est un roc qui se veut omniscient. Conservateur primaire-supérieur, il est sûr de lui, rétif à la raison, rebelle, ombrageux et violent par nature, à la merci du premier manipulateur. Celui-ci, selon l’espace, le temps, le champ d’action et les mœurs, a pour noms Baghdadi,  Chavez, Trump,  Marine Le Pen, Philippe Martinez et autres meneurs de fronts, milices, ligues ou phalanges précédés par d’autres, de sinistre mémoire, emportés comme eux dans la démagogie. Mêmes objectifs, mêmes moyens pervers, avec l’appui et dans l’union des soi-disant « réseaux sociaux », paradoxalement nés de la liberté d’expression et de communication, dont le capital se repaît et la pauvreté s’esclavage.

Compacté dans ses convictions, l’homme-masse est tout entier réseau social, tel un roc inentamable. On ne vient pas à bout d’un roc comme d’une pâte molle. Le sculpteur le sait bien qui ne le façonne pas à coups de masse assassine, mais l’observe, le côtoie, le contourne, s’appuie sur ses méplats, cherche la veine salvatrice entre les failles et de proche en proche parachève son oeuvre. Pour commencer, le sculpteur perfectionne son outil, ajuste son instrument.

Mais où est donc passé le sculpteur?

Sous le signe de Godot (suite)

Autres temps, autres embrouilles, un même désarroi? « O lieu de confusion, station où les calvaires se croisent et se contredisent, lieu d’abaissement, point de métamorphose des âmes, plaie ouverte à l’extrême de la patrie… » Quelque part entre Arras et Béthune, le poète (Aragon) évoque ainsi le désarroi de troupes livrées à elles-mêmes, débandées, bousculées par le destin qui les accule au sauve-qui-peut, à la fuite ou à la trahison, tandis qu’au proche horizon se profile, au pire la tutelle de l’étranger, au pis sa dictature.

Mars 1815, mai 1940, l’espace n’ est pas moins étroit, toutes proportions gardées, pour la bousculade, que la place de la République, à Paris, en avril 2016. Même printemps maussade, pluie et froidure au-dessus de la moyenne, une génération piétine, maugrée, s’empêtre sur elle-même, s’emporte contre quiconque s’étonne et ne la comprend pas. Piétinements et cacophonies ont-ils la même résonance? Eux ont les pieds sur une fondrière et ne la perçoivent pas, les doigts rivés sur des aphorismes sortis par SMS du fond d’autres âges, des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n’entendent rien au-delà de leurs ritournelles encapuchonnées, mais qui cherchent: Une direction? un saint à qui se vouer? un principe de régénérescence?

Les pierres qu’on leur jette ne les font pas taire. Mais on se lasse de jour à palabrer la nuit. Et quelqu’un, ils ne savent pas qui, ni le jour, ni l’heure, pourrait bien , impuissants, leur soustraire la mise à peine élaborée.