De Zabor à Rimbaud

« Pourquoi j’écris? » demande Zabor. « Parce que je témoigne, je suis le gardien, je fais reculer la mort des miens car ils sont essentiels et dignes d’éternité. Dieu écrit, moi aussi ». Ce nouveau roman de Kamel Daoud (Actes Sud, août 2017) ouvre à l’écrivain les portes de l’extase (c’est le titre du dernier chapitre), et le lecteur se pénètre d’un enivrant elixir, le mot lui vient aux lèvres en reposant l’ouvrage. C’est le livre de la raison d’être qui, du mythe de Robinson à la leçon de Schéhérazade, trace le chemin de la liberté, corps et âme réconciliés. Quittant celui des livres sacrés qui enclosent les croyants dans la gangue du parler qui les fige, lentement, difficilement, encombré de mille obstacles qu’il lui faut déblayer, l’enfant débile paré du don qui le révèle découvre la langue, trace l’écrit, le livre, la littérature qui délivre l’être fruste de l’enlisement mortel des sables dans le désert et l’entraîne dans les délices de la transcendance assumée.

Et tel Rimbaud descendu « des Fleuves impassibles », Bateau Ivre délivré des « haleurs », l’enfant baigné d’amour, l’enfant enchanté des Psaumes, pourra s’écrier: « O que ma quille éclate! O que j’aille à la mer! ». Vite, dans « une eau d’Europe…Un bateau frêle comme un papillon de mai ».

 

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Vitesse et bon savoir

Ce matin-même, l’enfant douée qu’on embarque dans le nouveau TGV de Paris à Bordeaux va franchir en deux heures 500 kilomètres de culture multi séculaire: Ile de France et Val de Loire, Touraine et Poitou, les terres de l’Angoumois, vignobles, terroirs sans pareils, lumière du grand ouest ouvert au large. Que va-t-il lui rester d’autre que la mémoire du vent torturé par la secousse du train? Un grain de pluie, peut-être, glissant sur la vitre condamnée, un regard fugace sur les collines arasées, à peine entre aperçues de loin et déjà effacées, pas la moindre idée de la vie d’une ville traversée, Tours, Poitiers, Angoulême sous ses yeux abolies. Et elle ne saura rien du domaine qui s’étend au loin aux abords d’une belle rivière, ni du charroi et du paysan son maître, son compagnon, bloqués sur un bout de route par un passage à niveau fugitif, ni du modeste clocher niché dans son village, non plus que de la pierre romane des prieurés, ni du silence, ni de la sérénité, vertus premières du bon savoir.

Et si elle s’est prise à lire, elle fermera son livre à peine entre ouvert. Quoi lire, qu’à peine assis on doive se lever, prendre son sac et gagner le quai? A Bordeaux sans doute, elle s’ouvrirait au rêve d’apprendre à vivre. Mais déjà, il lui faut repartir.

Il n’y a plus de poésie!

Il était pourtant beau, ce Ministère!

« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Lautréamont était avec lui.

Le surréalisme a des conquêtes exquises dont la privation subite est déplorable, pour qui observe de près l’éclosion des nouveautés qui enchantent. On ne dénoncera jamais assez ce puritanisme de la bienséance dont les attaques redoublées auront en peu de jours anéanti, sur les verts maroquins de la table élyséenne, la rencontre glorifiée de la modémique machine à coudre et découdre les réputations éphémères, et du parapluie macronien des partis et des bandes, soudain rassemblés sous son égide bonne à tout.

Il n’y a plus de poésie. A bas les puritains! Il serait temps de réapprendre à vivre!