Nous étions trois au centre, préposés au médire, chausse-trapeurs, guetteurs de faux pas. Trois piètres sires, trois figures du Médiocre ambiant. Trois figurants de la zone médiatique, truchement supposé accoucheur de la parole impériale mais incapables d’en placer une, rabâcheurs de poncifs imbéciles (ô président des riches! ô diseur de gros mots!), impuissants. Sans rire, nous étions la Presse en Conférence! Nous fûmes des faire-valoir ne pouvant servir à rien. Il est qui il est, et nous sommes si peu. Nous nous sommes laissé vaincre par le verbe, le savoir, la compétence suffisante. Et nous osons proclamer désormais que le prince ne sait pas convaincre! Pardi, nous sommes restés quasiment cois, n’ayant rien de sérieux à dire, rien de substantiel à objecter. Se pourra-il jamais que nous devenions amis? Il faudrait peut-être d’abord que nous devenions journalistes.
Emmanuel Macron
De la gouaille et des mots
Il s’avançait, flamberge au vent, à la rencontre de travailleurs exacerbés. Il pratique d’habitude la langue soutenue des habitués du sérail. Langue policée, langue subtile de l’exactitude au service de la clarté. Le peuple accepte l’élévation du langage même s’l ne lui est pas familier. Elle ne compte pas pour rien dans cette distance, du fort au faible, du hiérarque au serviteur, du chef au subordonné, qu’on nomme prestige et d’où vient que celui-ci se dispose à accepter la suprématie de celui-là.
Le hiérarque croit-il être mieux obéi quand il adjure le plus faible « d’arrêter de foutre le bordel »? Celui-ci lui crie en retour: » Cessez de nous emmerder! ». L’un et l’autre se ramassent dans le ruisseau de la grossièreté et la république éclaboussée n’est plus bien respectée. La langue est une culture, elle a ses normes, ses proportions, ses occurrences, ses opportunités. Ses forces vives sont dans la forme. Lorsque le verbe tangue, l’incompréhension se répand en discorde et l’Etat dégénère. Honneur au beau langage!
Août, mois de l’Auguste
Emmanuel-Octave a le teint frais, la mine ouverte, le nez droit, la joue rasée de frais, il offre à ses peuples épars l’élan et la fringance, le sérieux d’un regard bleu, le fin sourire de la pensée souple, malléable et maîtrisée. Il ne laisse à personne le soin de lui sculpter un buste. Ni Michel-Ange, ni Canova, un quelconque Rodin pas davantage: Emmanuel-Auguste naîtra naturellement de sa preste cambrure, quand, lâchant à point nommé le coup de son pied sûr, il projettera jusqu’au ciel étonné l’exquis plaisir du coup au but.
Il n’en est pas encore là, mais s’y prépare. Pour l’heure, Octave est au repos. Octave réfléchit. Octave laisse à ses proches le soin de parler pour lui, à son épouse la présence et le paraître, à ses généraux l’action sur le terrain. Les jours passent, le peuple attend le jour de son réveil qui sera aussi le sien. Les chiens des Augures sont à l’arrêt, truffes ouvertes à tous les vents. La chasse devrait ouvrir incessamment.
Guerre ou culture, il faut choisir
Un chef de guerre s’émeut parce que son prince lui rogne son budget. Il a raison si à ce prix la victoire est compromise. Le prince aurait pu préférer rétrécir une autre dépense. Celle de la culture, par exemple, parmi celles qui s’offraient à son choix. Que diraient alors les doctes? Il faut bien soutenir aussi leur train. On ne peut à la fois les chérir et caresser les chefs des armes. Entre les armes et la loi, la loi commande, et le destin du prince est en jeu.
La sagesse des Anciens a montré que les plus forts guerriers se gardaient parfois de poursuivre le châtiment des vaincus dans la destruction des oeuvres de leurs arts, soit en abattant leurs temples, soit en livrant leurs livres au feu. Car mieux valait les entretenir dans les grâces de l’ esprit et, ainsi amollis, conserver sur eux leur empire. Combien stupides à ce compte auront été les destructeurs de Mossoul ou Palmyre!
Stupides et non moins criminels car, à l’inverse, on ne vantera jamais assez le protecteur des arts, par quoi les civilisations progressent vers leur plus grande perfection, et la paix véritable est au bout du chemin. Gloire au prince dont le choix conduit à l’effort conjugué des guerriers et des doctes. Puissent ses peuples solidaires en saisir la nécessité.
Ce siècle a dix-sept ans
Ce siècle a dix-sept ans. A cet âge on est pubère, nubile, à suffisance de sève pour se projeter dans l’avenir.
Un siècle, c’est peut de chose désormais, au rythme où s’accélère l’être humain en ses prétendus progrès. A peine deux générations suffisent à épuiser l’élan qui l’emporte. Déjà « l’homme augmenté » s’offre à la relève, ce curieux rêve tentateur de lendemains qui feraient vivre autrement. Cependant qu’à l’arrière, la chasse s’organise: la chasse aux places premières, secondes ou tierces, dans les cercles pernicieux du pouvoir, dans les écoles de la pensée fugitive, dans les usines, dans les étables, dans les comptoirs, dans les terres délaissées où les terrils s’amoncellent, monstrueux dépotoirs de pollutions et déchets, et chacun voudra aussi s’en accaparer la domination.
Un maître s’est fait jour au-dessus de tous les autres. Il ambitionne de procurer le bonheur à tous, foi de sincère bienveillance et de pieuse révérence aux anciens. Et ce bonheur ne ressemblera à aucun de ceux qui se sont succédé depuis l’Eden. Il a brisé la foule des caciques écroulés sous la chape de leurs féodales incongruités. Il a rassemblé un peuple ébloui par sa férule et s’apprête à gouverner. Mais quoi? Si vite? Avec qui? Pour combien de temps? Mais il n’est Carnot, Augereau ou Sieyès ou Fouché, peuple de gauche; Portalis ou Tronchet, peuple de droite; Hoche ou Desaix, Lauriston ou Caulaincourt, vaillants soldats de droite ou de gauche, qui n’ait voulu accourir de tout bord à la splendeur promise. Que s’arrangent comme ils veulent les chouans aigris sous d’autres lois, les babouvistes fauteurs de troubles inassouvis! La parole est au maître qui s’offre à tous en sacrifice bienfaiteur.
Il ne reste qu’à tracer la bonne trajectoire sous laquelle il tâchera de les conduire, eux à qui l’on ne prête guère que bonne volonté à défaut d’expérience, honnêteté foncière, habileté à faire plutôt qu’à dire, talent de philosophe ou de mathématicien. On saura tantôt si la ligne est claire, l’objectif crédible et réalisable, le bonheur atteignable dans la civilisation qui vient. Combien de temps reste-t-il?
Majesté
Accouché de lui-même, Monseigneur le Dauphin (alias Emmanuel Macron) n’attend pas que le roi lui offre le spectacle du Grand Carrousel en l’honneur de sa naissance, comme jadis, en juin 1662, pour son lointain prédécesseur. Sorti de l’ombre à pas lents et solennels, il se l’offre à lui-même dans l’éclat sonore du Louvre illuminé. Dès dimanche, quatorzième de mai de l’an de grâce 2017, il sera roi adoubé par la république bousculée dans ses profondeurs.
Non, il n’est pas comme on croit un nouveau Bonaparte, ou un nouveau de Gaulle, accouru au secours de la République en perdition. Il est Louis XIV en personne, qui a fort affaire avec de nouvelles frondes, la sédition latente des sournois attachés à sauver privilèges et passe-droits, ou des braves gens incités à la haine ou à la subversion par des agitateurs patentés. Il y a aussi des poseurs de bombes en puissance de massacres. Il trouvera toujours devant lui de nouveaux surintendants richissimes qu’il faudra réduire, des prévaricateurs auxquels il faudra faire « rendre gorge » comme jadis au fastueux Fouquet et « tous ces gens-là ». Il faut restaurer l’Etat, on cherche, on attend un nouveau Colbert, un Louvois. A-t-on besoin d’un nouveau premier ministre? Il ne faudrait pas que le nouveau monarque se persuade de la nécessité de proclamer « l’Etat c’est moi »? On le dit entouré de sages conseils.
Pax Gallica
De jour en jour un caractère s’affirme, une volonté s’affermit, un discours s’éclaire, une explication cohérente s’installe. Il faut prendre la peine d’écouter, mot à mot, pas à pas, pour espérer et désormais croire. Qui a écrit: « La meilleure manière de se venger n’est pas de se rendre semblable à ceux qui t’ont fait mal »? Une telle règle de conduite est celle d’un homme en parfait équilibre, capable de rendre ses coups sans abîmer l’autre, sans l’accabler sous le grief d’une offensive pétrie de mauvaise foi, mensongère, outrancière. Maîtrise de soi, volonté positive. Le maître mot et le mérite remontent en l’occurence au stoïcien Marc Aurèle, l’empereur philosophe de la Pax Romana, fils spirituel d’Epictète et de Sénèque, père de Montaigne et de Kant. En opposant semblable équanimité au tohu-bohu du mal tonitruant, de la vindicte incessante, de la délation sans preuves, le candidat Macron manifeste une maîtrise du sujet et de soi-même qui impose le respect et instaure la confiance. Puisse renaître sous un tel homme une Pax Gallica aux vraies couleurs de la France!