De la rue avant toutes choses

C’est par la rue que toute opinion commence. De bonne heure, l’homme se lève pour aller chercher son pain ou son croissant. Rue, ou comptoir du zinc, c’est tout un. Ici affluent les premières nouvelles, s’échangent les premières impressions, naissent les premiers émois de la cité qui s’éveille. Tantôt les radios amplifieront la portée des nouvelles, le trottoir les colportera. Quelques uns s’assemblent au coin de la rue, au carrefour proche. Un cortège, peut-être, va se porter vers la mairie ou le commissariat. Ce qu’on apprend est-il vrai, est-il seulement plausible? S’il vous plaît, informez-nous. Nous sommes à l’écoute et nous y resterons autant qu’il faudra, jusqu’à ce que, apaisés, nous puissions rentrer à la maison. La rue nous appartient tout d’abord. Elle ne sera jamais à vous qu’épisodiquement, et à seule fin que vous nous assuriez de sa  possession calme et paisible. Vous pouvez bien retourner à vos palais Nous ressortirons à notre aise si votre démocratie a le moindre sens.

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Résistible ascension

Printemps 1953, Faculté de droit de Paris. La Corpo de Droit sous la coupe d’un chef de clan, Jean-Marie Le Pen pour ne pas le nommer: défense absolue de contester le privilège d’un syndicalisme étudiant autoproclamé.

Deux étourdis, G.L et J.L.D, s’avisent de la convocation officielle des étudiants à l’élection des « délégués Capitant », embryon gaullien, à l’époque, d’une représentation estudiantine aux Conseils d’Université. Le scrutin est de liste, à un tour. Le quorum est d’un dixième des étudiants inscrits. Les audacieux ont le culot de poser leur candidature, avec trois ou quatre camarades. Colère du chef de clan! « Votre candidature est un affront à la liberté syndicale. Vous  allez perdre. D’abord, comptez sur moi pour la boycotter par une consigne d’abstention, et je la ferai respecter. Ensuite vous allez vous heurter à une coalition de toutes les gauches de cette maison: communistes, socialistes, PSU, M.R.P, etc. Vous n’avez aucune chance. »

Nous n’atteindrons pas le quorum. Mais le résultat donne 70% des votes en notre faveur contre 30% à nos opposants. Le chef de clan déconfit n’a plus qu’à nous offrir à boire pour se dédommager de sa déconvenue.

Premier défi dans l’histoire du potentat Le Pen. Sa première défaite. Il n’est de servitude, enseignait La Boétie, que pour qui n’a pas osé résister…