Août, mois de l’Auguste

Emmanuel-Octave a le teint frais, la mine ouverte, le nez droit, la joue rasée de frais, il offre à ses peuples épars l’élan et la fringance, le sérieux d’un regard bleu, le fin sourire de la pensée souple, malléable et maîtrisée. Il ne laisse à personne le soin de lui sculpter un buste. Ni Michel-Ange, ni Canova, un quelconque Rodin pas davantage: Emmanuel-Auguste naîtra naturellement de sa preste cambrure, quand, lâchant à point nommé le coup de son pied sûr, il projettera jusqu’au ciel étonné l’exquis plaisir du coup au but.

Il n’en est pas encore là, mais s’y prépare. Pour l’heure, Octave est au repos. Octave réfléchit. Octave laisse à ses proches le soin de parler pour lui, à son épouse la présence et le paraître, à ses généraux l’action sur le terrain. Les jours passent, le peuple attend le jour de son réveil qui sera aussi le sien. Les chiens des Augures sont à l’arrêt, truffes ouvertes à tous les vents. La chasse devrait ouvrir incessamment.

Publicité

Une France en miettes

Ecrire l’Histoire d’un pays, d’un peuple, d’une nation, c’est vouloir le connaître  et, à la rencontre, le reconnaître.

En plus de huit cents pages à doubles colonnes, et une bonne centaine d’auteurs, brillants fouilleurs d’archives, cet in-quarto présenté par M. Patrick Boucheron prétend figurer la France, enserrée dans une Histoire Mondiale (Le Seuil, janvier 2017). On l’y aperçoit, en effet, décortiquée en mille miettes, comme si un pesant démiurge s’était emparé d’une énorme boule de pain rassis et l’avait émietté au long des chemins pour le bonheur des étourneaux.

Chaque miette que l’oiseau grégaire béquette l’instruit au gré du vent qui l’emporte mais ne le rassasie pas. Que dit de la France ce petit morceau choisi parmi les milliers d’autres que les auteurs ont égrenés, chacun selon son choix et pour le plaisir d’illustrer un extrait de sa pensée éparse au fil des événements? On cherche une unité, une cohérence, un objet à part entière, ou qui d’un bout de corniche révélerait la bonne surprise de  l’oeuvre entier. On regrette de trouver un ramassis de petits bons hommes, à coup sûr décervelés de leurs prétentions, rodomontades et vanité, rapetissés à la commune mesure du reste du genre humain. Salutaire catharsis. Mais qui est la France dans cette grosse boule de pain sans ressort, pierre qui roule sans amasser mousse?

Plus mon petit Liré que le mont Palatin… plus l’ardoise fine que le marbre romain…, en quelques vers si simples le poète n’avait-il pas suggéré l’essentiel, le fin mot autour duquel s’est tramée l’âme d’un terroir, d’un pays, d’une identité vraie, ouverte à tous, à tous les vents, à tous les désirs d’être heureux sur un coin de terre, parangon de l’Humanité. Courons vite goûter la France autour du monde qui est le sien!

Société incivile

La mode en France est à la société civile. Nul ne saurait dire au juste en quoi consiste cet être-là. Un composé d’hommes et de femmes,  en nombre quasi égal, garantis probes et de bonne volonté, nous fait-on croire, choisis au petit bonheur de par l’aptitude qu’on leur prête à rendre service aux personnes et au monde et par là-même capables de gouverner.

La société civile n’a pas de nom propre, pas d’identité assumée, pas de parti et, partant, pas d’appui. Un ectoplasme, un ovni. On lui accole un  tuteur, il ne tient pas, lui-même frêle roseau sans pensée ferme ; des coadjuteurs:  nés de même souche ils s’effondrent au premier vent. Elle se réclame d’un parrain, les étrennes sont prometteuses: quoique futiles ou incertaines, elles lui éblouissent les yeux. Placée devant le fait de gouverner, – une Assemblée, pensez donc, le fait est bien facile!- la tête lui tourne à l’envers.

La société civile est une tête de linotte. Sa cervelle est d’oiseau, elle n’entend rien, ne retient rien, légère et étourdie. Donnez-lui un perchoir, elle pépie d’aise et puis s’envole vers la linette, cette graine de lin blanc, candide friandise qui n’engraisse pas. Autant dire l’infini du rien dont elle procède et vers qui elle s’en retournera, incivile estomaquée.

On attend le retour du politique. Il a sa propre société. L’autre a beau la brocarder, la dénigrer, se défier d’elle, s’en détourner, elle tient bon.

 

Ornières

Le temps approche où Monsieur le Maire n’aura plus de goudron pour boucher les vilains trous de ses chemins, plus de bitume pour lisser ses trottoirs, plus de sable, plus de chaux, plus de plâtre pour rénover les murs de ses bâtiments. La taxe d’habitation abolie le livre aux hasards de la finance. A demain la corvée des villageois? Honneur au cantonnier de jadis « qui cassait et qui cassait des tas de cailloux », on se souvient de la chanson. Monsieur le Maire n’a plus d’argent. Son ministre pas davantage.

L’ornière fait sursauter. On appelle cahots les soubresauts des voitures dont les essieux se cassent et le voyageur s’y rompt le dos. On voyagera demain dans la douleur. Voyager? Mais vous n’y pensez pas! Quel besoin de voyager quand tout vous astreint à reposer dans votre chambre, la main assujettie aux doigts qui courent sur votre clavier, l’œil rivé à votre écran, l’auriculaire à l’oreillette, et le reste du monde est là, aux ordres de Monsieur, au service de Madame? La route est désertée et la poste est muette. Il n’y a plus de vie qui vaille que sur les réseaux sociaux. On n’écrira plus non plus.

Qui pourra faire que du tweet ou de l’email surgisse le chef d’oeuvre, ou même tout bonnement le clin d’œil d’un brin d’esprit ou de conversation? Rappelons-nous la Sévigné, « blonde rieuse, nullement sensuelle, fort enjouée et badine » (Sainte-Beuve). Elle voyageait peu, mais sa main, son esprit voyait tout, à courte et longue vue. De ses lettres vives et tendres a jailli un art de vivre et de le dire, un savoir-vivre,  à distance des vivants mais encore tout près d’eux, et sa chère fille avant tous. Mais la distance, maintenant, elle aussi, est abolie. L’autre est désormais trop près de ma vue, de mon oreille, pour que me prenne le désir de lui parler et de l’entretenir à loisir, légèreté ou profondeur. Nous n’avons pas le temps. Si près de moi,  je le perds de vue. Une ornière béante  s’est ouverte dans le néant de l’espace et du vide, entre zéro et un, et je m’y romps, os et carrosse.

Guerre ou culture, il faut choisir

Un chef de guerre s’émeut parce que son prince lui rogne son budget. Il a raison si à ce prix la victoire est compromise. Le prince aurait pu préférer rétrécir une autre dépense. Celle de la culture, par exemple, parmi celles qui s’offraient à son choix. Que diraient alors les doctes? Il faut bien soutenir aussi leur train. On ne peut à la fois les chérir et caresser les chefs des armes. Entre les armes et la loi, la loi commande, et le destin du prince est en jeu.

La sagesse des Anciens a montré que les plus forts guerriers se gardaient parfois de poursuivre le châtiment des vaincus dans la destruction des oeuvres de leurs arts, soit en abattant leurs temples, soit en livrant leurs livres au feu. Car mieux valait les entretenir dans les grâces de l’ esprit et, ainsi amollis, conserver sur eux leur empire. Combien stupides à ce compte auront été les destructeurs de Mossoul ou Palmyre!

Stupides et non moins criminels car, à l’inverse, on ne vantera jamais assez  le protecteur des arts, par quoi les civilisations progressent vers leur plus grande perfection, et la paix véritable est au bout du chemin. Gloire au prince dont le choix conduit à l’effort conjugué des guerriers et des doctes. Puissent ses peuples solidaires en saisir la nécessité.

Le tapis volant

Moi, Nicolas Hulot, prophète de l’ULM et roi de la lévitation, j’ai pris mon prince en croupe et j’annonce avec lui l’avènement de la cité sans nuages, sans essence ni diesel, carbone indésirable, à l’horizon 40. Une myriade de start up  s’élève à grands coups d’ailes pour me suivre, parvenant à me ravir, au centre de mon tapis sacré,  le secret du  jardin de l’univers. Bientôt, aux quatre coins du monde, naviguera, libre à mon exemple, sans effort et sans frein, sans roulement d’aucune sorte, l’Homme flottant augmenté du carré de lui-même. Sa boursouflure d’orgueil gonflera mon propre vent et celui de mon prince, dans l’infini du rêve dont chacun se sera emparé. Il n’y aura plus besoin d’atterrir, plus d’amerrir non plus, les glaces fondues sous l’ardeur de leurs cerveaux enfumés auront fini d’évaporer la mer. Alors les prophéties des rêveurs de la Perse, des poètes arabes, des faiseurs de mythes de toute race et couleur, se seront accomplies et ce sera le bonheur éternel.

Emmanuel, soleil levant

A Versailles, c’était grand, c’était éloquent, solide, charpenté, convaincant. C’était Bossuet lui-même, en camail épiscopal, expliquant au peuple souverain, roi solaire enrôlé dans le glorieux inconfort de son hémicycle réservé, les tenants et aboutissants de la nouvelle Histoire Universelle, celle à naitre de son bon vouloir.

Le bon peuple conscient de ses périls aurait mieux aimé peut-être l’Ordre du Jour, bref et tranchant, du chef au pied du mur d’airain de l’adversité menaçante. Un peu transi et stupéfait sur la pourpre de ses bancs, il l’espérait, il l’attendait sous l’égide de ses représentants.

Après l’oracle, viendront les tempêtes que ses ministres sont priés d’assagir. Mais parler au peuple n’est-il pas plus nécessaire qu’adresser à ses élites un message que lui-même a du mal à saisir?

Puisse la beauté du beau langage ne pas l’attiédir!

Vitesse et bon savoir

Ce matin-même, l’enfant douée qu’on embarque dans le nouveau TGV de Paris à Bordeaux va franchir en deux heures 500 kilomètres de culture multi séculaire: Ile de France et Val de Loire, Touraine et Poitou, les terres de l’Angoumois, vignobles, terroirs sans pareils, lumière du grand ouest ouvert au large. Que va-t-il lui rester d’autre que la mémoire du vent torturé par la secousse du train? Un grain de pluie, peut-être, glissant sur la vitre condamnée, un regard fugace sur les collines arasées, à peine entre aperçues de loin et déjà effacées, pas la moindre idée de la vie d’une ville traversée, Tours, Poitiers, Angoulême sous ses yeux abolies. Et elle ne saura rien du domaine qui s’étend au loin aux abords d’une belle rivière, ni du charroi et du paysan son maître, son compagnon, bloqués sur un bout de route par un passage à niveau fugitif, ni du modeste clocher niché dans son village, non plus que de la pierre romane des prieurés, ni du silence, ni de la sérénité, vertus premières du bon savoir.

Et si elle s’est prise à lire, elle fermera son livre à peine entre ouvert. Quoi lire, qu’à peine assis on doive se lever, prendre son sac et gagner le quai? A Bordeaux sans doute, elle s’ouvrirait au rêve d’apprendre à vivre. Mais déjà, il lui faut repartir.

Il n’y a plus de poésie!

Il était pourtant beau, ce Ministère!

« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Lautréamont était avec lui.

Le surréalisme a des conquêtes exquises dont la privation subite est déplorable, pour qui observe de près l’éclosion des nouveautés qui enchantent. On ne dénoncera jamais assez ce puritanisme de la bienséance dont les attaques redoublées auront en peu de jours anéanti, sur les verts maroquins de la table élyséenne, la rencontre glorifiée de la modémique machine à coudre et découdre les réputations éphémères, et du parapluie macronien des partis et des bandes, soudain rassemblés sous son égide bonne à tout.

Il n’y a plus de poésie. A bas les puritains! Il serait temps de réapprendre à vivre!

Ce siècle a dix-sept ans

Ce siècle a dix-sept ans. A cet âge on est pubère, nubile, à suffisance de sève pour se projeter dans l’avenir.

Un siècle, c’est peut de chose désormais, au rythme où s’accélère l’être humain en ses prétendus progrès. A peine deux générations suffisent à épuiser l’élan qui l’emporte. Déjà « l’homme augmenté » s’offre à la relève, ce curieux rêve tentateur de lendemains qui feraient vivre autrement. Cependant qu’à l’arrière, la chasse s’organise: la chasse aux places premières, secondes ou tierces, dans les cercles pernicieux du pouvoir, dans les écoles de la pensée fugitive, dans les usines, dans les étables, dans les comptoirs, dans les terres délaissées où les terrils s’amoncellent, monstrueux dépotoirs de pollutions et déchets, et chacun voudra aussi s’en accaparer la domination.

Un maître s’est fait jour au-dessus de tous les autres. Il ambitionne de procurer le bonheur à tous, foi de sincère bienveillance et de pieuse révérence aux anciens. Et ce bonheur ne ressemblera à aucun de ceux qui se sont succédé depuis l’Eden. Il a brisé la foule des caciques écroulés sous la chape de leurs féodales incongruités. Il a rassemblé un peuple ébloui par sa férule et s’apprête à gouverner. Mais quoi? Si vite? Avec qui? Pour combien de temps? Mais il n’est Carnot, Augereau ou  Sieyès ou Fouché, peuple de gauche; Portalis ou Tronchet, peuple de droite; Hoche ou Desaix, Lauriston ou Caulaincourt, vaillants soldats de droite ou de gauche, qui n’ait voulu accourir de tout bord à la splendeur promise. Que s’arrangent comme ils veulent les chouans aigris sous d’autres lois, les babouvistes fauteurs de troubles inassouvis! La parole est au maître qui s’offre à tous en sacrifice bienfaiteur.

Il ne reste qu’à tracer la bonne trajectoire sous laquelle il tâchera de les conduire, eux à qui l’on ne prête guère que bonne volonté à défaut d’expérience, honnêteté foncière, habileté à faire plutôt qu’à dire, talent de philosophe ou de mathématicien. On saura tantôt si la ligne est claire, l’objectif crédible et réalisable, le bonheur atteignable dans la civilisation qui vient. Combien de temps reste-t-il?