« Orphelins de Dieu » de Marc Biancarelli

De qui s’agit-il? Qui est visé sous ce titre générique et ample du roman de Marc Biancarelli publié au mois d’août par Actes Sud?

Ils sont, dans cette horde sans foi ni loi, agressive, instinctive, animée du goût du meurtre pour le meurtre, assassins sanguinaires, la proie de leur haine invincible envers l’humanité cruelle, miroir d’eux-mêmes, et pour eux-mêmes sans pitié. Une fille de rien s’élance à la poursuite de leur engeance après que trois d’entre eux ont torturé atrocement, gratuitement, son jeune frère dans leur masure perdue dans un recoin de la montagne corse. Trop faible pour mener seule sa vengeance à bien, elle se confie à L’Infernu, l’un de ces hors-la-loi, vieillard reconverti dans le métier de tueur à gages, recru de fatigue et proche de sa fin. Ensemble, ils vont au bout de son projet. Au fil de la poursuite, il déroule à ses yeux la genèse et la séquence de ses forfaits, violence née de l’injustice et de la misère, misère entretenue dans la violence, l’une à l’autre engrenées comme par une vis sans fin. Lui-même périra.

La fille, Vénérande (ce prénom dit assez l’admiration que l’auteur lui prodigue), tueuse anéantie au bout de sa route par la honte de soi, cet apanage commun des bandits sans conscience sauf l’honneur du remords qu’ils n’avouent pas, s’efface dans le néant du temps banal qui abolit toutes choses: plus rien ne subsiste, ni d’elle, ni du jeune frère tant amoché, ni de sa masure, de son enclos, de ses bêtes. « Ici, redisons-le, il n’est nulle mémoire ». Refermons le livre, recommande l’auteur. Cette histoire, n’est-ce pas? est sans pareille. Elle s’est déroulée dans l’autre siècle. Il n’en est nulle part qui s’en rapproche aujourd’hui. L’oubli, le généreux oubli recouvre la honte de sa poussière. Insidieuse poussière sur laquelle, pourtant, chaque « orphelin de Dieu » sur terre aura le cœur de souffler pour respirer un moment.

Livre splendide, style ardent, lumineux, poétique. Indicible épopée de l’homme sans repères, notre frère. Ironique jugement sur la perte de mémoire.