Les oies du Capitole occupent les parapets. Par tous les créneaux, elles lancent leurs appels cacophoniques à l’éveil des bonnes consciences. Rome n’est plus dans Rome, elle est là-haut, toute où elles sont. Pas un mot, pas un son, pas le souffle du soupir d’une oeuvre qui ne soit pesé, soupesé, scruté, passé au crible de la bien-pensance par les oiseaux noirs des remparts. Osai-je dire que Fréron est un fripon, je puis bien m’appeler Voltaire, une oie cacarde et me fait jeter en prison. Il paraît que telle chose ne se dit pas, que le propos est clivant, méprisant, discriminatoire, qu’il choque l’humanité puritaine de la société rigoriste des Plenels et Bayrous. Et pourtant, Fréron est un fripon. De même pourrais-je encore dénoncer l’ardeur de ceux qui voudraient m’interdire de penser comme jadis d’anciens préfets, de la gent des cagots, voulaient m’empêcher de danser au village d’Azai? Voltaire, Paul-Louis Courier, Léautaud, le Debré du Courrier de la Colère, les grands polémistes devront bientôt se taire devant le zèle des tyrans de la bonne opinion. Assez, et que le bon peuple gouverne!
politique
Il n’y a plus de poésie!
Il était pourtant beau, ce Ministère!
« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Lautréamont était avec lui.
Le surréalisme a des conquêtes exquises dont la privation subite est déplorable, pour qui observe de près l’éclosion des nouveautés qui enchantent. On ne dénoncera jamais assez ce puritanisme de la bienséance dont les attaques redoublées auront en peu de jours anéanti, sur les verts maroquins de la table élyséenne, la rencontre glorifiée de la modémique machine à coudre et découdre les réputations éphémères, et du parapluie macronien des partis et des bandes, soudain rassemblés sous son égide bonne à tout.
Il n’y a plus de poésie. A bas les puritains! Il serait temps de réapprendre à vivre!
Ce siècle a dix-sept ans
Ce siècle a dix-sept ans. A cet âge on est pubère, nubile, à suffisance de sève pour se projeter dans l’avenir.
Un siècle, c’est peut de chose désormais, au rythme où s’accélère l’être humain en ses prétendus progrès. A peine deux générations suffisent à épuiser l’élan qui l’emporte. Déjà « l’homme augmenté » s’offre à la relève, ce curieux rêve tentateur de lendemains qui feraient vivre autrement. Cependant qu’à l’arrière, la chasse s’organise: la chasse aux places premières, secondes ou tierces, dans les cercles pernicieux du pouvoir, dans les écoles de la pensée fugitive, dans les usines, dans les étables, dans les comptoirs, dans les terres délaissées où les terrils s’amoncellent, monstrueux dépotoirs de pollutions et déchets, et chacun voudra aussi s’en accaparer la domination.
Un maître s’est fait jour au-dessus de tous les autres. Il ambitionne de procurer le bonheur à tous, foi de sincère bienveillance et de pieuse révérence aux anciens. Et ce bonheur ne ressemblera à aucun de ceux qui se sont succédé depuis l’Eden. Il a brisé la foule des caciques écroulés sous la chape de leurs féodales incongruités. Il a rassemblé un peuple ébloui par sa férule et s’apprête à gouverner. Mais quoi? Si vite? Avec qui? Pour combien de temps? Mais il n’est Carnot, Augereau ou Sieyès ou Fouché, peuple de gauche; Portalis ou Tronchet, peuple de droite; Hoche ou Desaix, Lauriston ou Caulaincourt, vaillants soldats de droite ou de gauche, qui n’ait voulu accourir de tout bord à la splendeur promise. Que s’arrangent comme ils veulent les chouans aigris sous d’autres lois, les babouvistes fauteurs de troubles inassouvis! La parole est au maître qui s’offre à tous en sacrifice bienfaiteur.
Il ne reste qu’à tracer la bonne trajectoire sous laquelle il tâchera de les conduire, eux à qui l’on ne prête guère que bonne volonté à défaut d’expérience, honnêteté foncière, habileté à faire plutôt qu’à dire, talent de philosophe ou de mathématicien. On saura tantôt si la ligne est claire, l’objectif crédible et réalisable, le bonheur atteignable dans la civilisation qui vient. Combien de temps reste-t-il?
A la recherche de l’homme parfait
Qui cherche l’homme trouve l’humain.
A quoi bon dénoncer la faille? Elle est toute où est l’homme. De quel profit est la dénonciation sinon la gloire du dénonciateur et la prospérité suspecte de son journal? A tant harasser l’opinion, la presse lasse et le lecteur passe, indifférent, au prochain épisode. Aussi bien, il pardonne, de bon ou de mauvais cœur selon que l’honneur vrai est atteint ou seulement écorné.
Le maître a mille fois raison d’attendre et de laisser les lilliputiens stipendiés tendre leurs fils d’opprobre désiré sur les héros d’un jour. Le jour passe et demain, une faille cédant à l’autre, l’humain se reconnaîtra parmi les siens. A défaut d’homme parfait, il désignera l’honnête homme ajusté à sa mesure.
La cote d’amour
Vous pouvez bien au cirque faire tous vos tours; déployer vos blonds sourires sur vos faces épanouies, bondir sur les tribunes d’un élan calculé, tendre les bras au ciel, chanter victoires, crier malheurs; arborer sourcils noirs et broussailleux, sourires narquois, cravates soyeuses, annoncer la certitude de triompher de votre adversité; vanter votre jeunesse, naïvement attachée à choisir sans choisir, pronostiquer l’utopie, heureuse comme votre dent du bonheur, d’une ère nouvelle sur la terre aplatie ou gelée entre deux pôles; singer en sautillant, alouette aux trois-quarts déplumée, la promesse d’une vie future de loisir paisible et délirant; vitupérer mezzo voce la sempiternelle vocifération du faible contre le fort: A l’heure du jugement, ce ne sont pas vos contorsions qui feront la balance.
A tout concours il faut une fin, heureuse ou malheureuse. Les projets, les programmes, les discours, les écrits pensés et ciselés soit pour plaire, soit pour convaincre, au final ne pèsent d’aucun poids. Seule compte la cote d’amour, ce mystère insondable, irrationnel, qui attribue à l’un à l’ exclusion de tout autre, par sentiment, par intuition, ou par hasard, la palme présumée du bon savoir, de la juste mesure, de la sagacité.
Et nous, observateurs, agglutinés anxieux au tableau d’affichage, ne comprendrons pas pourquoi tel aura triomphé au détriment de tel autre..
Un bluff sans calomnie
Mais non, voyons, Monsieur le candidat au pouvoir suprême, vous bluffez! Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de cabinet noir dans la galaxie Hollande! Voyez ce qu’en écrivent Ricasens, Hassoux et Labbé dans « Place Beauvau, les secrets inavouables d’un quinquennat« , éd. Robert Lafont, chapitre I. Dans la République pure et sans taches, il y a que des « blancs », ces notes blanches anonymes, sans en-têtes, qui circulent sous le manteau (« chut, je ne vous ai rien dit, vous ne le répéterez pas!… ») , ces renseignements occultes qui courent d’un service de police à un service judiciaire et réciproquement et qui, de proche en proche, renseignent sur le comportement des citoyens qu’on surveille pour remonter, quand celui-ci en a besoin, jusqu’au sommet de l’Etat. Mais ce n’est pas nouveau! Le système s’est répandu, dans la plus pure tradition de Fouché l’inexpugnable, repris de régime en régime par les républiques troisième et quatrième, continué sous la cinquième et il a suffi au dernier président d’embrayer sur la voie, et d’embaucher les serviteurs dévoués de ses prédécesseurs, pour perpétuer l’existence, tout en la niant la main sur le cœur, d’un cabinet noir au service de ses hautes oeuvres.
De là à établir qu’un circuit clandestin d’information a été spécifiquement dédié à vous compromettre, Monsieur le candidat, vous le prouveriez en vain, non plus, assurent les auteurs, qu’on ne pourrait jurer du contraire. Donc, vous bluffez, mais vous ne calomniez pas. D’un bluff sans calomnie, il reste forcément quelque chose.
Un hâvre de grâce dans le fracas du monde français. Anticipation
Quatre hommes, une femme, cinq personnages en quête de bonheur. Non pas certes le leur, mais celui des mille têtes suspendues à leurs tribunes, fébriles chaires encloses en pupitres enchaînés côte à côte, dans l’attente de leurs promesses bienfaitrices. Il n’est pas interdit de rêver, les élections sont faites pour ce bonheur quinquennal. Tous ces personnages ont puisé aux sources de la sagesse qu’ils prétendent, nul doute que dans le fracas du monde, de l’entrechoc de leurs propositions jailliront la paix et la prospérité. Dans les chaumières des pauvres, dans les pavillons des riches, entre sillons des champs et rues jacassières, un silence s’est établi. De quels feux, de quels éclairs la nuit va-t-elle être traversée? Dans un temps proche, l’image subite que mijote le magicien des signes accouchera du nom du rédempteur. Mirages et fièvres de l’attente peuvent bien entre temps s’étendre au gré de l’opinion publique, ce fantôme fabriqué, prétentieux, versatile et qui n’existe nulle part. Tôt ou tard, c’est sûrement la grâce, l’ointe du Seigneur, qui l’emportera.
Au palmipède de l’Inquisition vétilleuse
Et s’il me plaît à moi, député diligent, de m’appuyer dans mon travail, comme vous m’en reconnaissez le droit, sur un membre de ma famille, fût-il ma propre épouse, dois-je pour autant rendre à votre canard un compte exact, précis, au centième près, du temps et de la manière dont il me rend service, lui comme n’importe quel autre qui me serait étranger? Il collabore avec moi, c’est tout. De jour ou de nuit, par temps sec ou dans la tempête, en conférence ici ou en réunion là-bas, dans l’échange ou la recherche, à table ou chez moi, ou avec des invités ou en retrait dans notre intimité, dans le temps ou hors du temps de la session parlementaire, aurais-je à noter nos heures comme on les compte à un collaborateur d’avocat, à un clerc de notaire, à un expert comptable?
Non, Monsieur l’Inquisiteur, je n’ai de compte à rendre qu’à moi-même. Mon action, mon oeuvre, plaide pour moi, voyez seulement que je conduis ma tâche, que je remplis mon mandat, que je suis présent à l’endroit et au moment où je dois être, accompagné ou non, soutenu en tout cas, secondé jusque chez moi dans ma tâche qui me harasse, par celui ou celle à qui j’ai demandé de le faire. Hommage lui soit rendu pour ce constant apport!
Et depuis quand la liberté garantie au représentant du peuple doit-elle être bornée par le soupçon insidieux de plumitifs acharnés à faire pression sur lui?
Immigration et génie politique
Ces Français de fraîche date qui ont tant secoué la France, l’Histoire ne les oublie pas: Catherine de Médicis, reine de France au pire moment des guerres de religion; Henri de Navarre, chef de guerre, roi de France, restaurateur de la paix religieuse; Mazarin, fondateur de l’Etat avec l’appui de la régente Anne d’Autriche; Bonaparte, sauveur de la Révolution; Gambetta, promoteur de la République: à tous la France doit quelque chose de son existence et de son unité, malgré la contre-épreuve de quelques-uns (le faux pas de Marie de Médicis). Récemment importés de Florence, de Navarre, d’Italie ou d’Espagne, ou d’une Corse génoise tout juste rattachée à la France, ils pouvaient entretenir à l’égard du pays une distance que n’entravait pas d’attachement aux racines, aux habitudes, aux mentalités de leurs contemporains « de souche » arcboutés à leurs « privilèges », droits acquis de plus ou moins longue date.
Ils eurent vision d’avenir, force de caractère, ténacité, lucidité, prudence et sens du bien général. Ils surent ne pas reculer devant les barricades levées par les conservateurs de tous états, opposants prêts à la subversion pour ne rien modifier, immigrés d’hier intégrés au bonheur d’être français, patriotes d’intérêt pour toujours.
Nos frontières résolument ouvertes à l’irrigation du sang neuf chaque jour favorisent l’émergence de tels et tels, porteurs de semblables vision, caractère, ténacité, sens du bien public, venus qui de Hongrie, qui de Guyane, qui du Maroc, ou bien de Catalogne. Ils ont l’esprit de réforme. On cherche du chancelier Maupeou dans leur capacité de résistance aux « corps intermédiaires ». Lequel d’entre eux principalement deviendra demain le vrai réformateur dont la France a besoin, ou le redeviendra, on l’espère pour le meilleur?
(Robert Nanteuil, Mazarin, galerie Médicis Paris)